Le 3 décembre dernier à Strasbourg, le Conseil de l’Union européenne a approuvé le déclassement du loup dans l’échelle des espèces animales à protéger. Il est ainsi passé d’espèce « strictement protégée » à « protégée », ce qui a pour conséquence de faciliter son abattage. La raison invoquée pour cette modification est une mesure de protection du bétail face à une augmentation de la population lupine. Invité sur le plateau de Millevaches durant une année, le dessinateur Troubs s’est penché sur la question de la cohabitation entre le loup et l’homme… et rend compte de ce travail.
Lire la suite...« Le Jardin de minuit » par Édith
Dans l’Angleterre des débuts du XXe siècle, le jeune Tom se retrouve contraint de passer ses vacances chez son oncle et sa tante. L’ennui s’installe, du moins jusqu’à ce que l’horloge du hall sonne treize coups, et dévoile bientôt un intrigant jardin, qui ne semble plus obéir aux lois du temps. Philippa Pearce avait écrit en 1958 « Le Jardin de minuit », roman devenu depuis un classique de la littérature jeunesse ; c’est aujourd’hui une autre grande auteure, Édith, qui se le réapproprie pour en livrer une adaptation maîtrisée, entre rêve et réalité, au sein de la prestigieuse collection Noctambule des éditions Soleil.
Quasi inconnu en France mais très populaire outre-Manche, le deuxième livre écrit par Philippa Pearce (1920 – 2006), « Tom et le Jardin de minuit », reçu dès 1958 la médaille Carnegie, récompense de la meilleure œuvre à destination de la jeunesse : elle s’inspira alors du jardin bordant le moulin (Kings Mill House, dans le comté de Cambridge) où elle avait grandi jadis. En 2007, pour les 70 ans de la médaille Carnegie, lorsque Philip Pullman fut finalement de nouveau honoré par le jury pour sa saga « À la croisée des mondes » (déjà gagnant en 1995), il déclara : « Personnellement, je pense qu’ils ont les bonnes initiales mais pas le nom : le meilleur ouvrage était celui de Philippa Pearce »…
En couverture, sous le balancier d’une grande horloge à l’ancienne dont le cadran indique un peu plus de minuit, une scène surréaliste se déroule : en bas de l’escalier qu’il vient sans doute de descendre silencieusement au milieu de la nuit, un garçon en pyjama a ouvert une porte sur un autre univers. Une petite fille, habillée à la mode des années 1910 – 1920, se tient devant lui tandis que l’on devine à l’arrière-plan un autre cadre spatio-temporel, en l’occurrence un jardin fleuri, baignée de la lumière du plein jour.
Le lecteur est ainsi invité à pénétrer dans le cadre du récit merveilleux, par le biais d’éléments archétypaux de la littérature anglo-saxonne : la fillette et le jardin renvoient aux « Aventures d’Alice au pays des merveilles » (Lewis Caroll, 1865) autant qu’à Dorothy et au « Magicien d’Oz » (Lyman Frank Baum, 1900), la porte est un parallèle de l’armoire magique du « Monde de Narnia » (C.S. Lewis, 1950 – 1956) tandis que l’adolescent curieux, capable de basculer du monde réel à un univers magique, préfigure lui-même – et entre autre héros – le futur Harry Potter (notons du reste que l’invisible petite fille se prénomme… Hatty). Comme tout récit mettant en scène l’adolescence, la figure conflictuelle est également omniprésente, autant dans son renvoi à l’autre que comme symbolique d’une facette différente, encore à découvrir : citons ici le garçon et la fille, le jour et la nuit, la forme courbe et la ligne droite, les motifs floraux et les quadrillages, le haut et le bas, le hall et le jardin, le monde du rêve et la réalité.
Tel « Little Nemo in Slumberland » ou « Le Petit Prince », tous les ingrédients et personnages sont saisis entre naïveté et omniscience, éternité et fêlures. Édith Grattery, habituée à retranscrire les ambiances victoriennes fin XIXe-début XXe (on relira la série « Basil & Victoria » réalisée avec le scénariste Yann de 1990 à 2007, ainsi que « La Chambre de Lautréamont » (scénario de Corcal, Futuropolis 2012) ou « Les Hauts de Hurlevent » (Delcourt 2009 et 2010), de nouveau avec Yann) poursuit une œuvre distillant habilement les atmosphères anxiogènes et mystérieuses, tout en sachant les dédramatiser.
Relation à la mémoire du temps d’avant comme à l’inconnu du moment futur, « Le Jardin de minuit » s’installe dès sa couverture – potentiellement transgressive – entre rêveries adolescentes et rites de passages vers un monde plus adulte : c’est la rencontre secrète et intime entre homme et femme, ainsi que la part d’intime livré qui en découle. Au-delà de la rencontre et de la découverte, c’est l’amour et l’émotion qui fixent nos souvenirs, et ceux-ci se glissent discrètement ici à chacune des pages : de fait, la perception nostalgique d’un paradis perdu engendre un espace d’éternité pour le retrouver…
Philippe TOMBLAINE
« Le Jardin de minuit » par Édith
Éditions Soleil (17, 95 €) - ISBN : 978-2302045057