Avec « Le Tombeau des chasseurs », le talentueux Victor Lepointe évoque la tragédie collective d’une bataille vosgienne en 1915 et, plus encore — par le regard de l’un d’eux, Victor Granet —, scrute l’intimité des sentiments de ces chasseurs alpins sacrifiés. Plongée dans la si mal nommée Der des ders…
Lire la suite...« Hyver 1709 T1 : Livre 1 » par Philippe Xavier et Nathalie Sergeef
Épuisée financièrement par la guerre de Succession d’Espagne (débutée en 1701), la France connaît à partir de décembre 1708 une vague de froid sans précédents. Dans ce terrible « Hyver 1709 », où le grain est devenu plus précieux que l’or, Nathalie Sergeef et Philippe Xavier ont imaginé que le destin du royaume de Louis XIV soit suspendu à une ultime transaction céréalière. Mais, pour se faire, Loys Rohan doit confirmer la vente en rejoignant la côte Atlantique en un lieu secret… dont les coordonnées exactes viennent d’être volées par des ennemis du roi !
« Le cruel hiver de 1709 acheva de désespérer la nation » écrivit alors Voltaire sans même songer au renversement de la monarchie quatre vingt années plus tard, et pourtant, cet air sibérien survenu au temps du Roi Soleil demeura assurément dans les mémoires de ceux qui lui survécurent. Comme l’illustre la couverture composée par Philippe Xavier (dans une atmosphère glaciale et tendue finalement proche des visuels de ses précédentes séries, « Croisade « et « Conquistador », le climat en moins !), la neige et la glace ont tout recouvert subitement, alors que l’on relevait encore 11° le jour de Noël 1708 ou le 5 janvier 1709…
Mais un flux d’air polaire recouvre soudain toute l’Europe occidentale, faisant de janvier 1709 le mois le plus froid des cinq cents dernières années. Les températures s’effondrent dans la nuit du 5 au 6 (il fait alors -16° à Paris !), et vont demeurer constamment inférieures à -10° jusqu’au 24 janvier, descendant jusqu’à -20,5° à Paris le 20. Plusieurs autres vagues de froid s’enchaînent jusqu’à la mi-mars, chacune détruisant le peu que la précédente a épargné : le sol gèle en profondeur ; les noyers, châtaigniers, marronniers, sapins, fruitiers, oliviers et les vignes périssent ; les fèves, aliments de base des populations, ne résistent pas et se gâtent. Tous les fleuves, rivières et étangs gèlent, bloquant le commerce maritime et la pêche tandis que les animaux succombent, à commencer par le bétail. Le petit gibier, lièvres, lapins, est décimé, de même que les loups, les sangliers, les cerfs, les biches et les ours.
Paris ne recevra aucun véritable ravitaillement entre janvier et avril. Des feux publics sont allumés sous les halles, des distributions de soupe organisées, du vin et des céréales sont importés de l’étranger (c’est précisément l’intrigue de cet album) mais la hausse des impôts et l’explosion du prix du blé et de l’orge provoquent de graves famines. Inégalement frappées, certaines régions peuvent replanter du blé de printemps mais toutes souffrent bientôt des inondations et des pourrissements qui succèdent au dégel. Le bilan humain sur deux années sera dramatique en France : plus de 2 millions de décès dans un pays qui en totalise alors un peu plus de 20 millions d’habitants (24 000 morts à Paris entre le 5 janvier et le 2 février 1709).
Dans le diptyque « Hyver 1709 » (seconde partie à paraître en 2016), l’aventurier Loys Rohan aura fort à faire dans un pays littéralement hanté de désespoir, où errent des vagabonds squelettiques, des orphelins livrés à eux-mêmes, des malades (dysenterie, scorbut, variole), des notables prêts à tout pour conserver leurs biens ou spéculer sur les prix, ce sans compter les farouches opposants à Louis XIV, qu’ils soient anciens Frondeurs (1648 – 1653), Camisards (1702 à 1715) ou Huguenots persécutés pour leurs convictions religieuses depuis la révocation de l’édit de Nantes (1685). Notons que, dans le titre, l’orthographe « Hyver » (issu du moyen français employé à la Renaissance) renvoie à une époque (le 18e siècle) où l’apprentissage du Français moderne reste encore très rudimentaire (rares notions orthographiques et grammaticales inculquées), alors que le latin possède toujours le statut éminent de langue de transmission du savoir.
Aventure historique digne d’un western (on songe par exemple aux atmosphères neigeuses du « Durango » d’Yves Swolfs), le héros (dont le nom Rohan évoque la célèbre famille princière du duché de Bretagne) ne peut avancer qu’armes (pistolets ou rapière) au poing, sur un décor symbolisant le délabrement belliqueux et religieux de son époque. Le sang versé est évoqué (« y » et « 1709 » du titre ») alors que la guerre de Succession d’Espagne (opposant les catholiques France et Espagne aux états protestants coalisés (Angleterre, Autriche, Prusse, Provinces-Unies, duché de Savoie et Portugal)) ne trouvera une issue qu’avec les traités d’Utrecht (Pays-Bas) signés en 1713.
Comme nous l’explique Philippe Xavier : « La création de la couverture est un moment particulier et intense : il va falloir sortir le grand jeu, non pas pour épater la galerie mais bien les étagères des librairies. Je ne recherche pas les prouesses techniques, mais avant tout la lisibilité et un impact visuel fort, accrocheur, qui évoque clairement le contenu. Et bien sûr il faut se différencier de toutes ces couves qui sortent chaque mois. »
« Dès le départ, j’ai une idée précise en tête, pas besoin de faire des dizaines et des dizaines de recherches, de travailler des variantes. Quand j’attaque mes couves je sais immédiatement où je vais. »
« Après, la composition est une question d’équilibre, de mouvement et de placement des éléments à la bonne place. Et évidemment de travail et de patience : une demeure tombe en ruines, un arbre apparaît pour mieux être coupé, le visage de Rohan se tourne vers nous, il rengaine son pistolet en attendant le danger imminent, une arbalète est finalement remplacée par un mousquet, me permettant enfin de trouver la ligne que je cherchais, la ligne qui guide le regard. »
« Comme pour « Conquistador », également sous forme de diptyques, pour « Hyver 1709 », je joue à nouveau avec une grande illustration qui fonctionne individuellement mais aussi en mode « poster ». »
« J’aime placer les gris, afin de donner de la vie à cette couve, avec quelques ambiances vite placées. Une fois l’encrage réalisé, je travaille quelques ombres sur les visages. Jean-Jacques Chagnaud peut alors se lancer dans la colorisation, avec pour seule directive de ma part : du blanc… et encore du blanc ! »
Philippe TOMBLAINE
« Hyver 1709 T1 : Livre 1 » par Philippe Xavier et Nathalie Sergeef
Éditions Glénat (13, 90 €) - ISBN : 978-2344006771