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« Ruines » de Peter Kuper

20/11/2015
Par Didier Quella-Guyot

C’est à un quadruple voyage que nous convie Peter Kuper dans « Ruines », un album au titre métaphorique en partie explicité par la couverture où tête-bêche le site zapotèque de Monte Alban fait écho à la ville de New York. Voyage dans le temps, voyage sociétal, voyage sentimental d’un couple en difficulté et voyage animal, celui des papillons monarques…

À intervalles réguliers, nous suivons en effet le périple des monarques qui, partis du Canada, traversent les États-Unis et survolent différentes contrées rurales ou industrielles, le tout constituant un parcours écologiste et politique, jusqu’à se retrouver pour se reproduire. Ce voyage fascinant est très joliment mis en images muettes en couleurs bleutées ponctuées d’orangés papillons. On pense évidemment à ce frémissement des ailes qui aboutit à un cataclysme, pourtant ce n’est pas vraiment le propos. Quoique, à Oaxaca, la ville tremble au rythme des manifestations d’enseignants. On est en 2006 : la jolie ville mexicaine vient d’élire un nouveau gouverneur et son élection, truquée semble-t-il, nourrit les murs d’inscriptions exigeant qu’il parte ! Banderoles, cortèges, barrages… la ville est sur les dents !

C’est là que vient s’installer pour un an un jeune couple texan en mal d’enfant. Samantha en veut un, pas George. Il vient de perdre son boulot et elle rêve d’écrire un livre. C’est un nouveau départ… Georges, passionné se passionne pour les insectes et les photographie à tour de bras. Kuper doit les apprécier aussi puisqu’il a réalisé, pour le plaisir de dessiner des cafards sûrement, « La Métamorphose et autres récits » de Kafka (Rackham, 2004). Samantha, elle, fait la connaissance d’un peintre qui la séduit tandis que George apprend l’espagnol avec Angelina, la bonne à tout faire, et rencontre un photographe un peu paumé qui lui fait découvrir le Musée Diego Rivera, ce peintre muraliste dont la femme fut la célèbre Frida Kahlo. Peu à peu, l’idée de reprendre le dessin le titille et Samantha le pousse à se consacrer de nouveau à ce talent qu’il a délaissé…

Alors que des événements politiques virent au drame, issue bien réelle que précise la postface, les monarques atteignent enfin leur but… Mais le couple trentenaire arrivera-t-il à se retrouver, à renouer les fils ? C’est tout l’enjeu de cette longue chronique conjugale (330 pages !), jamais ennuyeuse car le contexte « touristique » est habilement entrelacé d’épisodes politiques et de digressions historiques qui enrichissent incontestablement le propos.

On pourra à cette occasion lire ou relire « Journal d’Oaxaca » que Kuper a également dessiné il y a quelques années. On y retrouve traitées de façon plus journalistique les manifestations d’enseignants qui luttent pour la revalorisation de leurs salaires et le gouverneur qui ne fait pas dans la dentelle pour mater la rébellion. « Journal d’Oaxaca » réunissait les textes écrits par Kuper pendant son séjour, les photos prises dans les rues de la ville et les nombreux dessins qu’il avait exécutés sur le vif pendant les événements. Kuper y évoquait déjà aussi bien les chiens errants et les papillons (les Monarques et leur mystérieuse migration) que l’acharnement d’un gouverneur lamentable. Peu à peu un puzzle patrimonial et politique, où ne manquent ni les vestiges zapotèques, ni la fête du radis, témoignait de la richesse de cette ville et de la lutte de son peuple pour la justice et la démocratie. Plus de détails sur ce livre-reportage, sorte de making-off de « Ruines » finalement, et sur d’autres titres de l’auteur dans la chronique réalisée ici-même sur BDZoom.