Interview de JUNG

Interview de Jung, réalisée le 18 mars 2001, au Salon du livre de Paris, à l’occasion de la sortie de Kwaïdan 1 : « L’esprit du lac » (Delcourt – Col. Terres de Légendes) : « Si j’ai choisi ce sujet, qui traite de fantômes, c’est pour parler de la vie, de la mort et de la raison de l’existence. C’est peut-être ambitieux mais ce sont des questions qui nous préoccupent tous. » …

BD ZOOM : Après La jeune fille et le vent, vous publiez aux éditions Delcourt une nouvelle série dénommée Kwaïdan. Que signifie Kwaïdan ?

JUNG : C’est un mot japonais dont la traduction littérale est « L’histoire étrange ». C’est un terme qui signifie également « fantôme » ou « monstre » et englobe tout ce qui est étrange. Au début du siècle, l’écrivain britannique Lafcadio Hearn, qui vivait au Japon, s’est marié au Japon et a même pris la nationalité japonaise, a été le premier à regrouper par écrit, vers 1922 / 1923, tous les contes populaires traitant des sujets autour de l’étrange et des fantômes, dans un recueil ayant pour titre Kwaïdan. En 1963, Kobayashi  adapta ce livre pour le cinéma et en fit un film devenu culte depuis, même pour des réalisateurs comme Spielberg ou Lucas qui s’en sont inspirés. Personnellement je trouve ce film génial.

 

BD ZOOM :  Comment voudriez-vous introduire cette nouvelle série, cette fable fantastique située dans le Japon moyenâgeux, auprès de quelqu’un qui ne la connaît pas ?

 

JUNG : Tout d’abord, comme son nom l’indique, c’est une histoire de fantômes. Il ne faut toutefois pas s’attendre à des scènes horrifiques ou spectaculaires. Ce n’est pas mon parti pris ici. C’est plutôt l’aspect poétique qui m’intéresse. Mais Kwaïdan, c’est aussi et surtout l’histoire de Setsuko, qui porte un masque et est le résultat d’une réincarnation incomplète et ratée. C’est ce personnage que j’aimerais rendre touchant. Kwaïdan, c’est sa quête, la recherche de son identité…

 

BD ZOOM : Sa non-identité est  symbolisée par le fait qu’elle n’a pas de visage …

 

JUNG : Une partie de son visage manque effectivement. C’est un handicap terrible. Elle se pose forcément des question pour savoir à quoi elle ressemblerait avec son visage.

 

BD ZOOM : Sur cet album, vous travaillez complètement en solo, tant au niveau du scénario et du dessin que de la mise en couleur, à la différence de vos précédentes séries, La jeune fille et le vent et Yasuda où vous collaboriez avec un scénariste. Pourquoi ?

 

JUNG : Je me suis dit que si je devais mettre en images une histoire, je ne voulais pas être limité au niveau des moyens. Pendant ces dernières années, j’ai eu besoin de me perfectionner techniquement. Le moment était venu de réaliser ma propre histoire. Ca change tout car j’ai plus de liberté et n’ai presque pas de concession à faire, ayant eu quasi carte blanche de la part de mon éditeur, ce qui est un privilège.

 

BD ZOOM : Le scénario contient une dimension historique qui demande une importante documentation. Vous remerciez notamment à ce sujet Marc Michetz (le dessinateur de Kogaratsu). Comment avez vous travaillé cette partie documentation ?

 

JUNG : Je connais bien Michetz depuis une dizaine d’année. Je l’ai découvert avec Kogaratsu. Il m’a prêté une partie de sa fabuleuse documentation. Je me suis également constitué une vidéothèque avec les films de Kurosawa, Mizogushi, Kobayashi… et j’ai fait des croquis à partir des films et des arrêts sur image, pour cerner par exemple comment un kimono tombe, ainsi que pour tout ce qui est armures, décors.

 

BD ZOOM : On ressent ce sens du détail dans le graphisme, mais également dans les couleurs. Comment avez vous saisi les ambiances ?

 

JUNG : Il y a d’abord ma sensibilité. Je me suis inspiré également des mangas de Miyasaki, le réalisateur de Totoro ou Princesse Mononoké. Je trouve ses couleurs extraordinaires et très poétiques. J’ai voulu retrouver cet univers en y ajoutant ma propre vision des choses.

 

BD ZOOM : Vous semblez apporter une grande place au découpage du récit ?

 

JUNG : Oui, c’est très important dans une expression narrative comme l’est la bande dessinée. De plus, je suis très influencé par le cinéma. J’ai voulu un découpage dans ce sens. Pour la même raison,  je privilégie beaucoup les images aussi .

 

BD ZOOM : Le découpage doit-être d’autant plus complexe à réaliser que votre  récit est riche et le nombre de personnages important …

 

JUNG : Je n’ai en fait aucune technique de scénario. Je suis avant tout dessinateur. J’avance au feeling. J’écrit un synopsis séquentiel pour chaque volume, qui s’étale sur une dizaine de page et décrit toutes les séquences. Ensuite, je travaille sur un story-board. C’est là que je visualise.

 

BD ZOOM : Combien de tomes comportera le série Kwaïdan ?

 

JUNG : Prévue au départ en deux volumes, la série en comportera finalement trois. Je me suis rendu compte sur le premier tome que j’étais  un peu court au niveau de la pagination. J’aurais par exemple voulu consacrer plus de pages à l’enfance de Setsuko. Mais comme j’avais déjà une histoire suffisamment dense à raconter, j’ai supprimé quelques planches. Comme je veux y revenir, je le ferais dans le second tome. Ce qui explique qu’il me faudra au final trois volumes pour clore la série.

 

BD ZOOM : Encore une trilogie donc ?

 

JUNG : Oui, 3 albums représentent un bon équilibre pour une série. Ce n’est ni trop court, ni trop long. Juste bien.

 

BD ZOOM : Votre prochain album, à paraître dans un peu moins d’un an, sera donc la suite de » L’esprit du lac»  et contera l’enfance de Setsuko ?

 

JUNG : Pas seulement, bien évidemment. Sa quête continue. Le lecteur en saura de plus en plus, rentrera de plus en plus dans l’histoire. L’enfance de l’héroïne apparaîtra sous forme de flash-backs, comme je l’ai déjà fait dans ce premier volume. Je voudrais tout de même insister sur le fait que Kwaïdan est une quête accomplie. J’aime les histoires qui se finissent bien et donnent aux gens – et à moi même en premier lieu -  l’envie de se surpasser, d’essayer de trouver ses solutions à l’intérieur d’eux-mêmes. Si Kwaïdan délivre un message, c’est bien celui là .

 

BD ZOOM : Cela démontre-t-il de votre part une volonté moralisatrice ?

 

JUNG : Non, pas du tout. Si j’ai choisi ce sujet, qui traite de fantômes, c’est pour parler de la vie et de la mort et de la raison de l’existence. C’est peut-être ambitieux mais ce sont de questions qui nous préoccupent tous.

 

BD ZOOM : Vous avez collaboré avec Yslaire. Que vous a apporté cette expérience ?

 

JUNG : En fait, j’ai juste travaillé dans le même atelier que lui. J’ai du l’aider à mettre en couleur une planche du Sambre 3. C’est enrichissant de travailler au coté de quelqu’un comme lui. Il a un univers personnel qu’il arrive, et c’est très important, à  restituer à travers ses images ou encore ses personnages qui ont une véritable présence dans ses BD. J’aimerais arriver à ça, même si Yslaire n’est pas ma seule référence. J’ai envie qu’on me dise, après avoir lu ma BD, qu’il existe un univers, une histoire, des personnages avec une histoire, une sensibilité, une psychologie et que ce ne sont pas des personnages plats et vides. Ca me décevrait beaucoup sinon. Heureusement, jusqu’à présent ça n’est pas arrivé.

 

BD ZOOM : Travaillez vous sur d’autres séries ou vous concentrez vous uniquement sur Kwaïdan ?

 

JUNG : Je ne travaille que sur Kwaïdan. Je suis quelqu’un qui prend le temps de réfléchir et je ne pourrais pas travailler sur autre chose en parallèle. Mais j’ai déjà des projets pour après.

 

 

 

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