Par les temps qui courent, il est rare qu’un éditeur se lance dans une saga aux allures classiques prévue en plusieurs volumes. Pourtant, Futuropolis a déjà financé les scénarii des six ouvrages nécessaires à l’épopée de « L’Ange corse », lesquels sont d’ores et déjà écrits, et les trois premiers opus sortiront en l’espace d’une seule année… Rien que pour cela — mais pas que… —, saluons la parution du premier tome de « L’Ange corse » : l’histoire d’un orphelin corse qui doit s’expatrier dans l’Indochine des années 1930, pour échapper à une vendetta. Le jeune insulaire est recueilli, à Saigon, par un riche commerçant et propriétaire terrien natif d’Ajaccio : mais sous sa façade respectable, cet homme, bien installé, trempe dans le proxénétisme et le trafic de stupéfiants…
Lire la suite...« L’Écluse » : un Lot de surprises !

Un nouveau tandem — formé par le prolifique scénariste Philippe Pelaez et le talentueux dessinateur Gilles Aris — propose le one-shot « L’Écluse » : un surprenant thriller rural ancré au cœur du Quercy. Avec l’éclusier Octave, le Lot est l’autre personnage majeur de ce récit crépusculaire : la rivière charrie quelques cadavres de femmes, objets d’une enquête policière, elle-même synonyme d’autopsie d’une communauté villageoise. Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir dans le Quercy blanc. Ouvrons les vannes !
« L’Écluse », c’est une histoire ténébreuse qui se déroule en 1960, dans le petit bourg de Douelle : village de tonneliers, mariniers et vignerons des rives du Lot, qui contraste avec ces paysages lumineux et calcaires du Quercy blanc baignés dans une tonalité ocre et sourde, synonyme de chaleur méridionale comme de nostalgie des Trente Glorieuses. Enracinée dans le vignoble de Cahors, cette histoire percluse de tragédies comme un sombre roman de Giono du Haut-Languedoc, met en scène la marginalité et son corollaire, l’appréhension qu’elle provoque, l’hostilité qu’elle peut susciter et l’animosité engendrée pouvant servir de noirs desseins.
De facto, cette marginalité est incarnée par le jeune éclusier Octave Mychkine — physique disgracieux et esprit mutique — auquel la rumeur villageoise attribue trois crimes qu’il n’a pas commis. Courageux copain, Octave est défendu contre tous par la belle Fanette, notamment des attaques d’Alban, le caïd du village.
Se faisant, une galerie de personnages émaille le récit, certains s’avérant des leurres, d’autres des révélateurs : le violent Alban donc, craint de tous, coureur de jupons et agresseur sexuel ; Jean, le tonitruant boucher-charcutier si prompt à la vindicte populaire ; le bourru Albert Mychkine, trop paternel, ancien résistant, ancien éclusier dont la noyade de la femme en 1951 traumatise depuis son Octave ; Molinier et Lanoix, les inspecteurs venus de Cahors ; Pierrot, le falot copain de Fanette ; le maire… Et la figure fantomatique de la mère d’Octave, tondue de la Libération…
Au dessin officie Gilles Aris, né en 1976 : ancien animateur chez Ankama et dessinateur du polar rural « Le Vieux Ferrand » paru chez Delcourt. Renouant avec un thriller du terroir se situant dans ce même Sud-Ouest, le Toulousain Aris adopte ici un style sympathique rappelant quelque peu celui du Derib de l’album « Go West » (1979), doté d’un bel encrage au pinceau et d’une mise en cases agréablement moderne, jouant notamment avec les vides, ainsi que d’une mise en couleur numérique toute en efficace discrétion. Et de personnages aux trognes parfaitement caractérisées : des acteurs dont les physionomies tassées leur confèrent un aspect quelque peu caricatural détonnant avec la tragédie du propos, tout au moins à l’amorce de la lecture. Le récit démarre en effet par une scène sauvage à la Libération, puis par le viol d’une jeune fille de la voisine Luzech, crime observé par un tiers, et dont le corps est retrouvé noyé dans le sas de l’écluse de l’infortuné Octave. La cagade, car deux femmes, la trentenaire Jeanne Albouy, puis Paulette Sicard, y ont été retrouvées depuis un an… Dès lors, une enquête policière teintée de médico-légal est diligentée sur ce troisième assassinat, pointant les soupçons sur tous, et notamment sur le demeuré Octave. Le destin d’enfant battu de ce boucémissaire révèle, lors de l’ultime scène, les tenants et aboutissants de cette série de commissions criminelles, à laquelle s’ajoutent deux nouvelles victimes le temps de l’enquête… Roué en diable, Pelaez a encore une fois plaisamment concocté le scénario de ce récit complet, mais on ne présente plus le scénariste de « Bagnard de guerre », suite du non moins épatant « Pinard de guerre ». Il signe ici un nouveau bijou de noirceur, crédible et fluide. Son éclat de jaspe noir révèle un pays bien moins blanc qu’en apparence. Le Rouergue avait son album emblématique avec Christin et Tardi, le Quercy a désormais le sien avec Pelaez et Aris.
Jean-François MINIAC
« L’Écluse » par Gilles Aris et Philippe Pelaez
Éditions Grand-Angle (15, 90 €) — EAN : 978-2-8189-7823-8