« La Fureur de vivre» de Vicente Jiménez-Bravo racontée par son petit-fils : le dessinateur espagnol Pau…

Dans le tome 2 de la série « Les 5 Drapeaux » de l’auteur de bande dessinée espagnol Pau, lequel vient de paraître aux éditions Paquet (voir notre chronique du premier volume : « Les 5 Drapeaux » : un républicain espagnol dans l’Europe en guerre…), nous retrouvons Vicente Jiménez-Bravo, jeune républicain espagnol au camp de Barcarès. Lorsque la France déclare la guerre à l’Allemagne en septembre 1939, les étrangers détenus sont sommés de rejoindre les Compagnies de travailleurs étrangers. Le but des CTE était d’utiliser la force de travail des étrangers réfugiés dans l’effort de guerre. Vicente est alors déplacé près de Poitiers, avec un millier de ses compatriotes. Présent au Festival de la BD de Ligugé samedi 29 et dimanche 30 mars 2025, Pau a participé à une visite commentée autour de l’exposition qui lui été consacré. Il a bien voulu répondre aux questions de BDzoom.com et du public présent.

BDzoom.com — Pau, comment avez-vous commencé votre carrière ?

Pau — Après mes études à l’Escola Superior de Disseny de Palma de Majorque — où je suis né —, j’ai commencé à publier dans de nombreux fanzines, dans les années 1990 : c’est-à-dire à une époque où les journaux de bande dessinée fermaient les uns après les autres. Je ne pouvais plus être publié en Espagne, alors je me suis dirigé vers le marché franco-belge. À Angoulême, en 1996, j’ai tenté de contacter quelques éditeurs avec mon projet « La Saga d’Atlas et Axis. »

Mais je n’ai pas trouvé immédiatement d’éditeur intéressé. J’ai eu la chance de travailler pour le journal Spirou et pour des magazines espagnols : Nosotros somos los muertosDibucomics et El Víbora. J’ai aussi beaucoup travaillé comme dessinateur de presse pour les journaux de Majorque, Diario de Mallorca et Mallorca Zeitung.

Pau au festival de Ligugé.

BDzoom.com — Jusqu’à « La Saga »…

Pau — Finalement, les éditions Ankama ont publié « La Saga d’Atlas et Axis » en France, à partir de 2011… avec un petit succès discret, puisque le premier tome a été sélectionné pour le festival d’Angoulême en 2012, mais l’album n’y a pas gagné de prix, et la suite a failli ne pas être publiée.

J’ai pu convaincre quelques éditeurs étrangers de le publier (aux Pays-Bas, en Pologne et en Espagne) et Ankama s’est senti obligé de poursuivre la série ! Mais la faiblesse des ventes a encore une fois failli tout arrêter. De nouveau, j’ai pu convaincre des éditeurs de publier « La Saga d’Atlas et Axis », en russe, en italien, en anglais… Et Ankama a continué : le quatrième tome est sorti en 2016, et l’intégrale en 2017. Pour moi, c’est un réel succès : la série a touché beaucoup de monde de différents pays, de différentes cultures, sur trois continents.

BDzoom.com — Comment en êtes-vous arrivé à l’histoire des « 5 Drapeaux » ?

Pau — Eh bien, ma fille est née, il y a 8 ans, et j’ai décidé de lui raconter l’histoire de mon grand-père (qu’elle n’a pas connu), pour lui montrer d’où elle venait, pour qu’elle sache qu’on peut surmonter toutes les difficultés de la vie. C’était un homme très gai et très courageux. Quand il est décédé, on a trouvé chez lui trois cahiers livrant, avec beaucoup de détails, toutes les aventures qu’il nous racontait l’été lorsque nous étions enfants. J’ai compris que j’avais quelque chose que je devais partager avec tous ceux de mes compatriotes qui n’avaient pas eu la chance de connaître cette histoire. J’avais les moyens de convertir une histoire familiale en un récit universel pour toucher le grand public. Mais cela s’est avéré très difficile, surtout à cause de la documentation.

Pau commentant son travail.

BDzoom.com — C’est-à-dire ?

Pau — Par exemple, mon grand-père dit : « On est arrivés à la frontière avec six tanks ». Moi, je dois savoir quelle frontière, quel modèle de tank, comment eux ou les soldats français étaient habillés, quelles armes ils portaient… Et tout ça, pour une seule case ! Comme j’avais calculé qu’il me faudrait 350 pages, ça me faisait très peur d’entreprendre ce projet-là ! Mais j’ai décidé de le faire quand même. En commençant par la documentation… Je suis parti des trois cahiers qu’il avait écrits et des photos et des documents de France qu’il avait conservés. J’ai lu peut-être une centaine de livres sur le sujet.

BDzoom.com — Et en parallèle ?

Pau — Dans le même temps — pour gagner ma vie —, j’ai continué d’autres récits en bande dessinée, notamment « Curtiss Hill ». C’est également une histoire liée aux années 1930, ce qui m’a permis de continuer mes recherches de documentation sur l’époque. Et j’ai eu la chance de gagner le prix de la bande dessinée Ciutat de Palma en 2019 : cela m’a permis de finir ce récit et de trouver un éditeur en Suisse. En parallèle, j’ai créé ma maison d’édition (Escápula Comics) à Majorque, pour publier mon travail et survivre, même avec des ventes faibles. J’ai publié « La Saga d’Atlas et Axis » en espagnol et en catalan, puis « Curtiss Hill » et enfin « Baboon ! » (une histoire muette avec laquelle je voulais toucher un public universel, de tout âge, de tout sexe, de tout pays). J’étais prêt pour commencer à dessiner l’histoire de mon grand-père ! Tout commence au passage de la frontière, à Portbou en Catalogne, avec les tanks et tout ça…

Pau — Dans une BD, il n’y a pas besoin de dessiner tous les détails, mais je voulais les partager avec les lecteurs, parce qu’en plus d’une aventure c’est comme une espèce de reportage. Je dispose de tous les documents que mon grand-père a conservés. Les photos de sa concentration au camp du Barcarès (il y a les gens qui disent que ça n’a jamais existé…) Une photo du jour même où la guerre a commencé en Espagne, avec ses frères. Sa permission de la journée pour aller à Vichy en vélo depuis La Ferté-Hauterive, dans l’Allier. Sa carte d’alimentation de Lorient. Et le permis d’accès au chantier — en allemand — certifiant qu’il a participé à la construction d’une base de sous-marins à Lorient.

Voilà le type de documentation que j’ai voulu partager avec tout le monde.

Quelques documents conservés par Vicente Jiménez-Bravo.

Question du public — Cela a duré combien de temps ? Cela s’étale sur combien d’années ?

Pau — La partie française dure deux ans, mais le récit s’étale sur neuf ou dix ans. Depuis le début de la guerre — lorsqu’il a décidé de lutter contre l’État fasciste — jusqu’à ce qu’il ait repris en main les rênes de sa vie. Il disait qu’il avait perdu la maîtrise de son destin. Mon grand-père était sous le drapeau républicain espagnol, parce qu’il s’était engagé comme soldat, et après, sous le drapeau français. Encore après, il a rejoint les Anglais pour la bataille de Dunkerque. Puis il a été pris par les Allemands. Et, finalement, il est revenu en Espagne sous Franco, et il a travaillé sous le drapeau franquiste. Voilà pourquoi, pendant ces dix ans, cinq drapeaux ont dirigé son destin. Et ce sont les dix années que j’ai dessiné : dix années extraordinaires. Cette année, les organisateurs du festival de Ligugé m’ont invité à réaliser l’affiche du festival, et j’en suis très fier !

Dessin original réalisé pour l'affiche du festival de Ligugé.

BDzoom.com — Une partie du périple de votre grand-père s’est joué dans la région (le département de la Vienne), à Migné-Auxances aux carrières des Lourdines.

Pau — En effet, mais je n’ai pas pu y retourner : le site est actuellement interdit. J’avais déjà dessiné beaucoup de pages sur les carrières sans avoir aucune idée de leur apparence, quand, heureusement, il y a quelques années j’avais pu y entrer. C’est très différent de ce que j’imaginais. J’ai trouvé sur place des traces du passages des Espagnols, un prisonnier a gravé son nom dans un mur de la mine.

J. Ruiz (1939).

Question du public — Mais, aux Lourdines, pour qui travaillait-il ?

Pau — Pour les Français, pour l’artillerie. Les Espagnols devaient aménager cet endroit pour y stocker des projectiles d’artillerie. C’était les compagnies de travailleurs étrangers, sous discipline militaire : ces travailleurs ne pouvaient pas sortir, ils ne pouvaient pas choisir leur travail, ils ne pouvaient pas choisir leur nourriture. Certains étaient même pieds nus. Ils mangeaient ce qu’on leur donnait. Ils dormaient dans la carrière, ils travaillaient dans la carrière. Ils ne voyaient le soleil que le dimanche s’il faisait beau.

Les Lourdines.

BDzoom.com — C’était en quelle année ?

Pau — En 1939. Lorsque les Espagnols sont arrivés en France, ils disposaient de trois options pour sortir des camps de concentration : intégrer la Légion étrangère, retourner en Espagne — ce qui signifiait la mort pour certains —, rejoindre les compagnies de travailleurs étrangers, c’est-à-dire travailler gratuitement. Bon, ils touchaient un franc par jour. C’était des esclaves.

BDzoom.com — Quand il est revenu en Espagne, votre grand-père a eu des problèmes avec la dictature.

Pau — D’après la loi franquiste, si on pouvait prouver que vous aviez été au moins sergent, c’était la mort. Mon grand-père avait été l’équivalent d’un commandant de compagnie. Je ne comprenais pas pourquoi il n’avait pas été exécuté à son retour et j’ai finalement découvert le document qui expliquait cela. Dans le rapport de police, le voisin qui a dénoncé ma famille s’est trompé : mon grand-père a été confondu avec l’un de ses frères. Il a seulement été condamné aux travaux forcés, à Majorque. Il y est resté parce qu’il adorait l’île. Ma famille est donc de Majorque, à cause de Franco. Merci, Franco [rires.] !

Question du public — Parlons un peu du travail sur les textures. La façon dont vous travaillez les matières est fascinante. Les cuirs sont rendus de manière exceptionnelle. Vous utilisez à la fois le pinceau, le crayon à papier le stylo bille ?

Pau — En fait, j’ai décidé de créer trois styles différents pour les couleurs, car il y a cinq drapeaux. Mais ce n’est pas complètement linéaire : parfois, il y a un souvenir de la guerre d’Espagne qui revient avec son propre code couleur, cela aide le lecteur. Je voulais faire une bande dessinée avec ces souvenirs. Je souhaitais raconter une histoire qui ne puisse être contée qu’en bande dessinée : on utilise des onomatopées, on peut montrer des cartes, on peut mélanger les images, on peut raconter quelque chose par les images et autre chose par le texte et créer des personnages animaliers.

La bête est lâchée.

Question du public — C’est l’expérience de « Maus » en fait !

Pau — Oui, il y a cette tradition. Avant « Maus », il y avait Calvo avec « La Bête est morte ». Plus récemment, il y a eu « Cat Shit One » de Motofumi Kobayashi : la guerre du Vietnam avec des petits lapins. Je voulais m’inscrire dans cette tradition-là qu’en tant que lecteur j’adore. À mon avis, lorsque les personnages sont mignons, l’impact de leurs expériences est beaucoup plus fort sur le lecteur.

BDzoom.com — Pour en revenir aux matières…

Pau — Pour les parties qui se passent pendant la guerre d’Espagne, la partie qui est la plus connue de sa vie, j’utilise des couleurs un peu plus anciennes. Lorsqu’il passe en France, j’utilise la sépia, comme dans les photos qu’il a gardées du camp de concentration. Lors de la bataille de Dunkerque, tout est rouge : c’est la guerre. Puis, après sa capture par les Allemands, la coloration est vert-de-gris, comme les uniformes allemands. Enfin, lorsqu’il revient en Espagne, ce sera gris comme l’Espagne l’était à l’époque.

BDzoom.com — Sur l’affiche du festival, vous avez intégré la carte que votre grand-père avait réalisée.

Pau — C’est une carte où il a tracé son parcours en France. Je suis certain que beaucoup de Français n’ont pas connu autant de routes que lui… Il y a marqué son parcours et ce n’est pas uniquement par chemin de fer, mais aussi à pied, par la route. C’est à partir de cette carte que j’ai commencé à mettre des repères avec ces documents conservés. Par exemple, il avait conservé une collection de petites cartes postales. Sur l’une, il a écrit le jour et l’heure exacts où il est arrivé à Lorient. Il parle également d’une fille dont il a fait connaissance. Elle gérait un café-tabac à Lorient et il a mis l’adresse sur la carte. Sur Facebook, j’ai cherché un groupe consacré aux photos anciennes de Lorient. Le café existe toujours, et une dame m’a répondu qu’elle connaissait la fille de la photo et sa descendance ! Au début, j’ai douté un peu de l’histoire de mon grand-père, qui semblait tellement incroyable. Mais, finalement, j’ai réalisé que tout était vrai, qu’il n’avait pas besoin d’imaginer : il a écrit ça pour sa famille.

Carte routière annotée par Vicente Jiménez-Bravo.

BDzoom.com — Tout à l’heure vous parliez de votre fille : est-ce qu’elle a lu cette histoire ?

Pau — Elle ne l’a pas encore lue, elle n’a que huit ans. Elle l’appréciera plus tard. Mais mes enfants aînés sont très fiers. Des amis qui ont connu mon grand-père me disent que le chien lui ressemble. Ma mère elle-même dit : « Je ne vois pas un chien, je vois mon père ! »

Vicente Jiménez-Bravo.

Question du public — Certaines planches sont notées tome 3…

Pau — Oui, j’ai terminé le tome 2, mais j’ai découvert que ça marche mieux si je dessine les pages que j’ai envie de dessiner sur le moment. Pour moi, c’est mieux de ne pas bloquer sur une page, d’avancer comme ça, même si ce sont des pages du futur tome 5. Et c’est bien comme ça : quand j’arrive au tome 5, des pages sont déjà faites.

Une planche inédite du tome 3.

Question du public — Alors vous avez déjà tout story-boardé ?

Pau — Oui, parce que, pour bénéficier d’un contrat d’édition, il faut anticiper le nombre de pages et calculer le prix du livre. Pour l’éditeur, c’est indispensable et, pour moi aussi, c’est important : pour savoir quelle importance je donne à chaque livre. J’ai découpé l’histoire en cinq tomes : ça m’a pris plus d’un an, tout en continuant les autres bandes dessinées. Comme ça au moins, tous les ans, tous les un an et demi, je peux parler avec le public, présenter les anecdotes, avoir la chance de gagner un prix [rires].

Une autre planche inédite.

BDzoom.com — Vous nous avez dit qu’en Espagne vous avez créé votre propre maison d’édition. Vous n’avez pas fait ce choix dès le début ?

Pau — Non ! Mon idéal, c’est juste la création. Mais ce n’est pas possible financièrement, alors j’ai créé ma maison d’édition, Escápula Comics, à Majorque. Je dessine moins, parce que ça prend du temps, mais ça me permet quand même de continuer à dessiner, sinon j’aurais quitté le métier. J’y ai publié les livres qui étaient déjà réalisés : « La Saga d’Atlas et Axis », « Baboon ! », puis « Curtiss Hill ». J’essaie de sortir un livre tous les ans.

Question du public — Les voitures, c’est aussi une passion ?

Pau — Oui, c’est grâce à André Franquin que j’adore le dessin des voitures. J’ai essayé d’en dessiner, ça ne sortait pas, alors j’ai commencé à étudier les voitures, à lire des journaux de voitures, et, finalement, j’ai eu le plaisir d’en dessiner ! Et puis, des auteurs de bande dessinée m’ont demandé des conseils : j’ai créé un livre pour dessiner les voitures en bande dessinée, puis un deuxième pour les voitures de course.

BDzoom.com — C’est comment de dessiner « Spirou » ?

Pau — C’est un rêve que j’ai accompli ! Dans la BD espagnole, il y avait des personnages récurrents comme dans la série « Mortadelo y Filemón ». Mais, quand on trouvait des publications avec des BD franco-belges… il y avait un saut de qualité. J’ai découvert que mes personnages préférés espagnols étaient copiés : des copies de Franquin (pour moi, c’était le meilleur). Lorsque j’ai découvert « Astérix », cela a été un choc. Et j’ai décidé de publier chez Spirou. Pour un numéro spécial auto, la rédaction m’a commandé une couverture et une histoire. Finalement, j’ai pu dessiner une histoire de « Spirou », avec Sti [Ronan Lefebvre], mon scénariste de « Jacky Touch » : juste un récit de quatre pages, mais pour moi, c’est un rêve ! On m’a demandé de faire une histoire courte des « Tuniques bleues » et une du « Marsupilami », un bonheur complet.

Spirou n° 3781 spécial auto.

Question du public — Mais « Mortadelo y Filemón », c’est très bien aussi…

Pau — Oui, mais il y a des gags complets qui sont copiés de Gaston Lagaffe. L’original, c’est beaucoup mieux…

Question du public — De grands dessinateurs espagnols ont fait carrière en France : Antonio Parras, Carlos Giménez, Jesús Blasco, Victor de la Fuente…

Pau — Oui, en fait, c’était les dessinateurs de Selecciones Ilustradas : l’agence artistique fondée de Josep Toutain…

BDzoom.com — Qui alimentait les revues comme Creepy, Eerie… Carlos Giménez a dessiné (en trois tomes, aux Échappés) la vie de José González, dit Pepe, celui d’entre eux, au sein de Selecciones Ilustradas, qui a créé le design de Vampirella !

Pau — Oui, Carlos Giménez a aussi dessiné « Les Professionnels », un récit qui parlait de tous ces dessinateurs.

BDzoom.com — Savez-vous s’il a lu « Les 5 Drapeaux » ?

Pau — Je ne suis pas en contact avec lui. Je l’ai rencontré dans des festivals, mais c’était avant « Les 5 Drapeaux ».

Question du public — Ces filières d’infusion de la bande dessinée espagnole, elles ont finalement disparu ?

Pau — En partie, oui, mais il y a des auteurs espagnols qui produisent en France et qui sont des stars ! Prenez José Luis Munuera, qui a réalisé des « Spirou », Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido, avec « Blacksad ». Et Ana Miralles, Rubén Pellejero, Paco Roca… Il y a plein d’Espagnols qui sont au top !

BDzoom.com — Il y a également des auteurs espagnols qui travaillent pour Marvel ou D.C.

Pau — Oui, parce que, en Espagne, les auteurs de bandes dessinées ne pouvaient pas gagner leur vie. On a émigré… et on a réussi !

BDzoom.com — Il y a Émile Bravo, qui lui aussi a pu faire « son » Spirou.

Pau — Émile Bravo : ses parents sont des exilés espagnols. Il parle espagnol couramment. On s’est rencontrés et il m’a dit que je ressemblais tellement à son père qu’il en était choqué : « C’est comme si je voyais mon père » (son père aussi a été interné dans des camps). C’est un grand ! Et c’est l’un de mes auteurs préférés.

Question du public — C’est donc une histoire commune entre l’Espagne et la France.

Pau — Oui, mais elle est plus connue en France qu’en Espagne ! En Espagne, on ne parle pas de ça. Tandis qu’en France, on en parle. Il y a des plaques, des hommages, tout ça. Mais c’est justement parce que, en France, ceux qui l’ont vécue sont restés ici, tandis que, en Espagne, ceux qui sont restés sont soit morts, soit muets.

BDzoom.com — Dites-nous, « Les 5 Drapeaux », vous l’avez tiré à combien ?

Pau — J’ai lancé une campagne de crowfunding. En Espagne, une vente moyenne c’est entre 1 000 et 1 500 exemplaires, normalement. Pour mes premiers albums, avec également une campagne de crowfunding, j’avais prévendu entre 300 et 400 exemplaires avant impression. Tandis que, pour « Les 5 Drapeaux », j’en avais prévendu 1 700 ! Alors, j’ai tiré à 4 000 — ce qui est énorme — et j’en ai vendu déjà plus de 3 000.

BDzoom.com — En début d’année 2025, Paco Roca a publé (chez Delcourt) « L’Abîme de l’oubli » (voir Avec « L’Abîme de l’oubli », Paco Roca retrouve la mémoire du passé…), avec l’aide scénaristique de Rodrigo Terrasa…

Pau — Oui, ça a connu un beau succès en Espagne.

Cette histoire a été dramatique pour tout le monde. Dans ma famille, il y a eu un disparu, le frère de mon grand-père, et toute ma vie j’ai entendu parler de lui. C’est pire, parce qu’un mort on sait qu’il est mort. On peut faire le deuil. Mais, là, on ne parle pas de deuil, parce qu’il n’est pas mort, et ça dure toute la vie. Quand j’ai commencé mon enquête, j’ai trouvé une photo du frère disparu. Derrière, mon grand-père avait écrit : « C’est mon frère mort, 10 décembre 1936. » Alors oui, il était mort.

Question du public — Vous le racontez dans le premier tome. L’hôpital où était le frère de votre grand-père a été bombardé. Ils ont tué les gens à l’intérieur…

Pau — Oui, on savait qu’il était mort, mais on n’a pas vu le cadavre. Pour la famille, il était disparu, mais pour mon grand-père : son frère était mort, il en connaissait la date exacte.

BDzoom.com — Pau, merci beaucoup.

Pau échangeant avec un admirateur.

Mille mercis républicains à Pau pour sa disponibilité, et tout autant aux bénévoles du festival de Ligugé.

Propos recueillis par Brigh BARBER (et retranscrits avec l’aide de Fred Fabre et Gilles Ratier)

« Les 5 Drapeaux T2 : La Fureur de vivre » par Pau

Éditions Paquet (18 €) – EAN :  9782889325962

Parution 6 août 2025

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