Avec la complicité habituelle de Doug Headline (le fils du célèbre écrivain), le Grand Prix d’Angoulême en 1990 s’est attaqué avec brio à une nouvelle mise en images d’un roman noir de la figure tutélaire du polar francophone : Jean-Patrick Manchette. Il s’agit, après « Morgue pleine » (déjà adapté en BD par les mêmes auteurs), de la seconde — et donc dernière ! — enquête du détective privé Eugène Tarpon. Elle est parue en 1976 dans la collection Super Noire des éditions Gallimard et elle fut tournée pour le cinéma sous le titre « Pour la peau d’un flic » par et avec Alain Delon, en 1981. Drôle et efficace, « Que d’os ! » imbrique de patibulaires personnages hors normes dans des situations plus qu’improbables.
Lire la suite...« Blacksad Stories T1 : Weekly » : la fureur de lire… des comics !
Comment le sympathique Weekly, personnage majeur de la série culte « Blacksad », est-il devenu photojournaliste de faits divers ? Pour ce spin-off animalier, initié dans la veine graphique de la série mère, Juan Díaz Canales a fait appel au dessinateur Giovanni Rigano : l’occasion de narrer les pérégrinations de celui qui, dans le New York de l’après-guerre, se nommait encore Dustin Kalisnowszczyzna. Entre l’univers du crime et celui de la presse, le salut viendra… du monde de la BD, pourtant soumis à une vive censure.
Après sept tomes de « Blacksad », reproposés en édition luxe tout au long de cette année (à l’occasion de l’anniversaire des 25 ans de la série), Juan Díaz Canales et Dargaud s’aventurent dans la série dérivée, afin d’explorer le plus souvent la jeunesse des personnages. Une tendance déjà suivie ces dernières années au travers de quelques autres séries franco-belges plus ou moins remarquées : citons notamment « Alix origines » (2019), « Champignac » (2019), « Idéfix et les Irréductibles » (2021), « Buck Danny Origines » (2022), « Durango – La Jeunesse » (2022) ou « XIII Trilogy – Jones » (2023). Qu’il s’agisse de one-shotsdédiés à divers personnages, d’aventures isolées (« Thorgal Saga » en 2023) ou d’épisodes à suivre, ce style de déclinaisons permet de fidéliser le lectorat en proposant d’enrichir un univers, creusé à la manière des séries dérivées (prequel, spin-off, reboot, crossover, etc.) liées aux super-héros américains (sur un même mode, voir la déclinaison de Spirou en « SuperGroom »).
De Weekly, que savions-nous au juste à travers « Blacksad » ? Né en juin 1932, le personnage rencontre le chat détective dans le quartier de The Line, au milieu d’une foule rassemblée devant une victime dans « Arctic Nation » : le deuxième volet la série. Dès lors, les deux personnages ne se quitteront plus, en dépit de la triste réputation attribuée au dénommé Weekly : un surnom attribué à cette fouine dans la mesure où elle a avoué ne se laver… qu’une fois par semaine ! Avec ses moustaches blanches et son nez rose, son Jean et sa parka rougeoyante ouverte, la silhouette un rien séductrice et rebelle de Weekly fonctionne tel un parallèle animalier de James Dean, là où la figure de Blacksad renvoie aux grands archétypes du film noir, de Philip Marlowe (façon Humphrey Bogart ou Robert Mitchum) jusqu’aux plus récentes séries policières ancrées dans le genre (« Sugar », « Mister Spade »…).
Dans « Blacksad Stories T1 : Weekly », Dustin Kalisnowszczyzna est une fouine qui vit à New-York avec sa grand-mère d’origine russe : Chana. Tous deux occupent un minuscule appartement et vivotent en acceptant des petits boulots. Au plus grand désespoir de Chana, fidèle croyante qui décide d’aller voir la pasteure Lubansky, une brebis qui mène une croisade contre le mal, incarné à ses yeux par les publications destinées aux jeunes lecteurs : les comics. Au même moment, Dustin trouve du travail chez Proper Comics, dirigé par Venables, l’ennemi juré des Escadrons de la vertu de la pasteure Lubansky. Malgré la menace de censure, Venables lui confie la réalisation d’un roman photo…
Comme souvent dans « Blacksad », réalité historique et fiction se rejoignent aux coins, anguleux et meurtriers, d’une sombre enquête criminelle. Désireux de travailler avec un éditeur spécialisé dans les BD policières et d’horreur, Weekly est engagé par Victor Venables, le patron de Proper Comics (comprendre « De véritables bandes dessinées » ). Si ce label désigne une récente maison d’édition numérique, il nous renvoie tout entier à l’histoire du médium, entre éditeurs de comics (spécialisés à partir des années 1940-1950 dans le fantastique, l’horreur ou le polar) et censure liée à la création du Comics Code Authority en 1954. Précisons que le CCA fut initié sous la pression du Dr. Fredric Wertham (« Seduction of the Innocent ») et du Sénat américain, tout en visant plus particulièrement les récits aux thèmes jugés « corruptibles » pour la jeunesse : crime, horreur, surnaturel, érotisme et violence graphique. Particulièrement visé par les associations parentales et religieuses, William Gaines est contraint d’abandonner la société EC Comics (créée en 1944 ; éditeur des séries « Crime SuspenStories » et « Tales from the Crypt), tout en préservant Mad Magazine, initié avec Harvey Kurtzman depuis 1952. Bien que la CCA n’ait aucun contrôle officiel sur les éditeurs de bandes dessinées, la plupart des distributeurs anglo-saxons refusèrent de distribuer des comics qui ne portaient pas le sceau. Révisé à plusieurs reprises, le Code perdura avec plus ou moins de rigueur jusqu’à son abandon total en 2011..

L'art du photojournalisme (planches n° 4 et 5 pour « Blacksad Stories T1 : Weekly » ; Dargaud, 2025).
Dessiné numériquement par Giovanni Rigano (« Tête de pioche », « Au chant des grenouilles »…), « Blacksad Stories T1 : Weekly » révèle un style dynamique, proche du trait de Juanjo Guarnido. Les auteurs, qui s’étaient rencontrés lors du festival d’Angoulême pour discuter en détails du projet, ont en commun leur passion de la musique, outre leurs fines connaissances des règles de l’animation (acquises chez Disney) et de la narration cinématographique. L’album, qui cherche à séduire un nouveau public, se montre suffisamment riche et convaincant… tout en nous faisant patienter avant le prochain tome de « Blacksad » !
« Blacksad Stories T1 : Weekly » par Giovanni Rigano et Juan Diaz Canales
Éditions Dargaud (17, 95 €) — EAN : 9782205202212
Parution 31 octobre 2025
Édition spéciale – librairie Momie
Éditions Dargaud (19,95 € ; édition limitée à 2 000 ex. avec couverture alternative, cahier d’interview et ex-libris) – EAN : 9782205215328
Parution 31 octobre 2025




























