Avec « Le Tombeau des chasseurs », le talentueux Victor Lepointe évoque la tragédie collective d’une bataille vosgienne en 1915 et, plus encore — par le regard de l’un d’eux, Victor Granet —, scrute l’intimité des sentiments de ces chasseurs alpins sacrifiés. Plongée dans la si mal nommée Der des ders…
Lire la suite...« Groenland Vertigo » par Hervé Tanquerelle
Le Groenland n’est sûrement pas la destination touristique la plus prisée et il faut des occasions particulières pour se décider à s’y rendre. C’est en tout cas ce qui arrive à Georges Benoit-Jean, alias Hervé Tanquerelle, invité à participer à une expédition danoise en Océan Arctique, en même temps que l’écrivain Jorn Freuchen, alias Jorn Riel (auteur de célèbres « Racontars »), un peintre-sculpteur irascible et des scientifiques (géologue, ornithologue)…
Georges est donc invité un beau jour et, lui qui déteste les voyages, se laisse séduire, car il y a à la clé l’idée très séduisante d’en faire un album. Tout le monde se retrouve en Islande afin d’embarquer. D’Husavik, petit port au nord de l’île, le voilier s’élance et Georges va devoir très vite tester sa résistance à la houle… et à la peur du naufrage. Georges comprend surtout que le passager est un membre d’équipage comme les autres et que, même inexpérimenté, il doit participer à des activités totalement inconnues.
Très vite surnommé Tintin par l’écrivain qui l’accompagne, l’auteur s’amuse à développer ce que cette ressemblance impose : un parallèle avec l’album « L’Étoile mystérieuse » et de nombreux clins d’œil à la série qui lui apprit la bande dessinée. L’artiste caractériel a des airs de Carreidas dans « Vol 714 pour Sidney » et l’écrivain barbu et amateur de whisky est un Haddock haut en couleur. D’ailleurs, une longue séquence concerne la découverte de caisses de bouteilles, « du Mackinlay, un des meilleurs du monde », laissées là il y a fort longtemps. Graphiquement, Tanquerelle joue également la carte Hergé par des postures, des situations (on pense ici au héros dévalant contre son gré une forte pente comme dans « Tintin au Tibet » ou aux colères à la Rastapopoulos de l’artiste) et par l’humour toujours présent.
Au bout du compte, Tanquerelle raconte moins le Groenland qu’il ne met en scène la comédie de caractères que représente ce microcosme isolé en plein froid, notamment le duo pittoresque du peintre à l’ego surdimensionné et de son assistant possessif et capricieux. Tanquerelle aime plus croquer les individus, les portraiturer, que d’aligner de beaux décors, mais ces derniers restituent cependant fort bien glaciers et icebergs, maisons de bois perdues dans des déserts caillouteux, fjords inhospitaliers… le tout rehaussé ici des couleurs d’Isabelle Merlet. L’enjeu écologique y est également régulièrement évoqué.
Hervé Tanquerelle connaît, en fait, très bien ces contrées, mais « littérairement », puisqu’il a adapté avec son acolyte Gwenn de Bonneval les ouvrages de Jorn Riel : ces fameux « Racontars arctiques » (publiés aux éditions 10/18) et autres « vertiges » auxquels le titre fait référence. Voir sur BDzoom.com « Le Roi Oscar et autres racontars » où nous évoquions d’autres bandes dessinées mettant le Groenland en scène.
On pourrait finalement se demander pourquoi l’auteur n’assume pas totalement l’histoire qu’il a vécue en 2011, mais à l’évidence ce n’est pas un reportage et bel et bien une fiction inspirée de son séjour. Cela lui permet de mieux s’en écarter, de caricaturer certains comportements, de compléter aussi ce qu’il n’a pu apprendre sur place faute de comprendre le danois et de réaliser, comme il l’explique, « un racontar » : c’est-à -dire « une histoire vraie qui pourrait passer pour un mensonge à moins que ce soit l’inverse » selon la définition de Riel himself.
Alors, bon voyage !
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Groenland Vertigo » par Hervé Tanquerelle
Éditions Casterman (19 €) — ISBN : 978-2-2031-0394-8
Casterman a inséré un correctif pour quelques très minimes fautes de ponctuation. Mais même sans ce correctif, Casterman publie des textes propres et clairs. Rien à voir avec les (trop) nombreuses publications du groupe Media Participation, groupe qui semble vouloir s’adonner à une destruction en règle de la langue française.