Commencée en décembre 1975 dans le premier numéro d’Imagine, « La Quête de l’oiseau du temps » trouve 50 ans plus tard la conclusion… du second cycle : « Avant la quête ». Et Serge Le Tendre et Régis Loisel — avec la complicité de Vincent Mallié — réussissent la performance de réunir magistralement les deux époques. Encore une série culte des années fastes de la « nouvelle BD » des années 1970 qui se porte à ravir ! D’autant plus qu’à « Avant la quête » pourrait succéder « Après la quête » : un volume unique que Régis Loisel a encore tout récemment évoqué en interview (ou en privé), qu’il devrait dessiner lui-même et qui mettrait la focale sur l’errance d’un Bragon âgé et perdu dans sa folie.
Lire la suite...« Ma vie de réac » T2 par Morgan Navarro
Sous-titré « Violences contemporaines », ce deuxième tome du Réac se situe exactement dans la même veine que le premier. Le personnage n’a pas évolué, même si le monde autour de lui continue de tourner. Son fils grandit, sa femme reste désabusée devant ses remarques et, lors de ses interventions publiques, il a toujours l’impression d’être incompris. Incessamment atterré par la société contemporaine, le récit de ce passéiste nous fait rire, souvent jaune, mais aussi réfléchir devant tant de bêtise humaine.
Avec son style dépouillé mais extrêmement expressif et ses couleurs criardes, les pages lumineuses contrastent avec le sujet, souvent grave, abordé par ce quadragénaire, qui semble vivre dans un monde où il ne se reconnaît pas. Si le récit semble autobiographique, Morgan Navarro n’est apparemment pas aussi réactionnaire que son double. Il grossit le trait, caricature les situations et rend son personnage exécrable. Il analyse, inverse et amplifie les idées véhiculées par la société bien pensante dans laquelle on vit. Mais à la lecture, on se rend compte que le Réac est également un incompris. Du moins, en lisant ses pensées, on peut voir que sa langue fourche souvent et que du coup son auditoire se méprend sur ses propos. Mais ne nous inquiétons pas, il lui arrive également d’être un vrai malotru et pire : ne pas le voir.
Ainsi, dans les premières pages, dans l’épisode « Promophobie », il se surprend à tenir des propos clairement racistes face à un journaliste. Répondant maladroitement aux questions, ses paroles dépassent clairement sa pensée, que l’on peut lire en parallèle. Un peu plus loin, pensant croiser un autre journaliste, il se cache pour ne pas qu’il découvre qu’il a voté à la primaire de la gauche. Sur quoi, sa femme renchérit : « Ben quoi ? Ils ne sont pas tous de gauche les journalistes, non ? » Ce qui l’amène à la réflexion suivante : « j’en sais rien si je suis de gauche ou pas, et j’ai surtout pas envie qu’on le décide à ma place ». C’est surtout ça son problème, il est indécis et se réfère toujours au bon vieux temps dont il est clairement nostalgique.
Publié à l’origine sur le blog graphique du Monde, « Ma vie de réac » fait la joie des internautes qui réagissent de manière amusée, mais de temps en temps violemment face au propos de Navarro, qu’ils ne savent pas prendre avec un peu de recul. De quoi alimenter quelques pages supplémentaires en fin d’album, avec des extraits choisis de ces commentaires, parfois aussi affligeants que ceux du Réac. Si le premier volume ne donnait pas d’indication concernant la planche à laquelle les internautes faisaient allusion, le deuxième explique bien à quelle histoire les commentaires font référence.
Pour le personnage du Réac, le monde va mal, c’est une certitude. Son fils lui tient tête, les Pokemons remplacent la lecture, les jouets ne doivent plus avoir de genre et, pire que tout, on le prend pour un électeur du FN. Entre temps, il se surprend à jouer de la guitare électrique en cachette et se demande finalement si on est toujours Charlie. Heureusement, il est toujours autant réactionnaire, ce qui nous offre une bonne raison de ricaner dans notre coin.
Gwenaël JACQUET
« Ma vie de réac » T2 par Morgan Navarro
Éditions Dargaud (17,99 €) – ISBN: 978-2205077407
Quel écart entre « Teddy beat » et » ma vie de réac » mais beaucoup de plaisir de lecture au final, le tome 1 du « réac » m’avait surpris et amusé, ce genre de personnage décalé est agréable à suivre dans ses réflexions. Petit détail, on reconnait certains endroits de Grenoble!