Le premier tome de « L’Ombre des Lumières » sorti l’an passé (1) se terminait par le départ, en ce milieu du XVIIIe siècle, du malfaisant chevalier de Saint-Sauveur pour le Nouveau Monde. En effet, toutes ses intrigues se sont retournées contre lui ! Après avoir séduit et trompé la jeune Eunice de Clairefont éprise de la philosophie des Lumières, menacé de mort par son mari et criblé de dettes, Saint-Sauveur a été obligé de s’exiler. En débarquant à Québec, il ne désespère cependant pas de retrouver sa place à Versailles, d’autant plus qu’un de ses peu fréquentables amis lui a proposé d’effacer toutes ces dettes s’il accepte de réaliser une mission vengeresse qui va lui permettre de déployer ses funestes talents…
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Ce dimanche ensoleillé du 10 juin était l’occasion rêvée de faire un tour à Lyon, pour la treizième édition du festival de bande dessinée. Peu de temps, et une visite éclair pas inintéressante pour autant. Carnet de route !
J’avais choisi le musée Confluence, où se tenait l’exposition évènement sur l’œuvre d’Hugo Pratt : « Lignes d’Horizon », pour débuter mon parcours. Exposition liée à l’actualité de la parution du deuxième tome des aventures de Corto Maltese : « Équatoria », reprises par Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero. Belle exposition, dont nous avons pu, avec le reste des visiteurs ce matin là, profiter de la visite commentée, entre autre par Michel Pierre, historien et commissaire invité, et les auteurs eux-mêmes.
On rentre dans les salles faiblement éclairées en commençant par un rappel biographique de l’auteur italien. Puis très rapidement, des originaux nous sont proposés : dessins, et quelques planches de jeunesse. Néanmoins, et comme l’a rappelé Michel Pierre, il ne subsiste que très peu d’anciens originaux du maître italien avant les années 70. L’originalité de l’exposition résidant dans le fait de s’attarder sur les références culturelles et géographiques de l’œuvre, on a rapidement l’opportunité de comparer le dessin de Pratt et celui de l’américain Milton Caniff, son influence majeure, avec de belles planches de « Terry et les Pirates» et « Steve Canyon ». Un régal.
Des écrans TV sont aussi encastrés aux murs et les films : « Le Réveil de la sorcière rouge » (Edward Ludwig, 1948), et « Le Roi des îles » (Byron Haskin, 1954), ayant servis de modèles à la création du marin, rappellent aussi que l’auteur aurait souhaité, s’il l’avait pu, devenir réalisateur. Plus loin, ce sont des objets cultuels, sortis des fonds du musée ou celui du Quai Branly, où devait initialement se tenir l’exposition, qui sont exposés en vis à vis de planches leur faisant écho. Masques de tribus africains, statues de pierre des iles du pacifique, pirogue ou coiffes indiennes et un étonnant bouclier à l’effigie du « Phantom » de Lee Falk.
De nombreuses aquarelles originales sont montrées, ainsi que des planches noir et blanc tirées de « La Macumba du Gringo », « Ann de la jungle », « Cato Zulu » ou de séries western telles « Sgt Kirk » ou « Fort Wheeling », entre autre, où l’on savoure les collage de textes ayant servis aux nombreuses traductions. Au cœur de l’exposition : une table ronde, carte interactive où des vagues océaniques créent une sorte de courant de pensée, tissant des liens entre les différentes aventures et personnages créés par Hugo Pratt. Chaque toucher sur un visage flottant provoque sa fixation quelques secondes, et un dialogue. Magique. Une autre petite salle circulaire, plus cosy, propose de s’asseoir sur des poufs afin de visionner une sorte de diaporama mouvant sur les murs, faisant défiler différentes scène poétiques (des poissons ou des papillons) ou tonitruantes (des poursuites de méchants et des coups de feu).
On termine avec une pièce « bibliothèque », où la plupart des albums du maître sont proposés à la lecture, tout comme d’anciennes revues italiennes ou argentines sont placardées au mur. De l’autre côté un pan entier imprimé, permet de retrouver l’ensemble des personnages créés par l’auteur. Enfin, conclusion de la visite avec la projection du documentaire de Thierry Thomas (« Hugo Pratt trait pour trait », Arte 2016) retraçant la carrière d’Hugo Pratt. Celui-ci, assez long (une demi heure au bas mot), aurait gagné à être plus court. Une belle exposition.
À peine le temps de manger un bout, et nous nous dirigeons vers la place des Terreaux et l’Hôtel de ville, cœur du festival, comme chaque année. Il sera trop tard pour assister au spectacle autour de l’œuvre d’Enrico Marini et son « Batman », à l’opéra, déjà complet, donc, direction l’Hôtel de ville et ses salons somptueux, où se côtoient petites expositions, ateliers divers et longues queues pour des dédicaces auprès de prestigieux auteurs.
Le stand de l’éditeur de la librairie Expérience est dans la cour et présente sa dernière livraison (la 10) de la revue Projet Bermuda. Deux numéros en fait, puisque cette édition, ayant bénéficié d’un financement participatif sur Kiss Kiss Bank Bank propose une version « normale » avec la pléiade habituelle d’auteurs Lyonnais ayant participé, mais aussi une version « coquine ». De nombreux dessinateurs étaient présents pour les dédicacer.
C’est dans les salons que l’on retrouve Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero, entre autres, proches de l’exposition consacrée à leur reprise du marin vénitien : « N’importe où sauf à Ithaque ». L’occasion de se replonger dans les ambiance de leurs deux premiers albums, et de découvrir quelques planches originales et des crayonnés, tout comme la méthode de colorisation directe employée pour le récit de la revue Pandora #3. Chouette.
On croise aussi Léa Touitou, jeune dessinatrice d’origine roannaise ayant roulé sa bosse en Afrique, assise à côté de Deloupy, auteur Stéphanois présent pour « Algériennes 1954- 1962 » (Marabulles 2018). Elle dédicace son tout nouvel album paru aux éditions Jarjille : « Café Touba » (collection Autobio, 2018). Où l’on constate que Léa, si elle a gardé son trait enfantin assez reconnaissable, a bien évolué depuis « Gris » son tout premier mini comics (Onabok éditions 2002) et propose un récit fluide, poétique et intéressant, pas loin du genre de mise en page d’un Simon Hureau d’ailleurs…
Une visite à la librairie du rez de chaussé permet de découvrir quelques albums de la bande dessinée libanaise mise en avant grâce à l’exposition collective « Voisins », puis direction les bulles, place des Terreaux.
Halte rapide sur le stand des éditions Jarjille stéphanoises, dont Michel Jaquet, aussi auteur, est l’un des dirigeants. Discussion sur la nouveauté « Entretiens avec Emmanuel Guibert », (collection Autobio) écrit et dessiné par l’autrichienne Bettina Egger, qui réalise là un petit tour de force et une mise en abîme intéressante et bienvenue, en interviewant l’auteur de « La Guerre d’Alan » en dessin. Une discussion passionnante. Bettina Egger est aussi l’auteure, chez Jarjille du superbe « Un voyage en Transsibérien » (2015), dont le succès est confirmé, puisqu’une deuxième édition est dores et déjà proposée. À découvrir absolument !
Une autre nouveauté à ne pas manquer : « Bêtises », de l’autrichien Franz Suess, dans la collection Enfances, la même qui nous avait permis de découvrir l’excellent « Egratignures » de Simon Hureau. Album carré, cartonné au dos toilé, « Bêtises » raconte cinq sombres souvenirs d’enfance, relevés par un dessin noir et blanc dur, façon gravure, des plus réussis, un peu dans le genre de la suédoise Joanna Hellgren ( « Frances », Cambourakis 2008-2012), ou la danoise Rikke Bakman. Classieux et indispensable.
Les éditions Jarjille tracent tranquillement leur bonhomme de chemin, sans trop faire de bruit depuis 2004, avec des albums et des auteurs assez différents les uns des autres et des collections au diapason, où humour, (« Zooart », par Augel) autobiographie et récits singuliers (« Tracer », par Ulric, ou « L’Homme », de Swann Meralli, par exemple) se côtoient avec justesse. Vous devez absolument faire halte sur leur stand à l’occasion (http://jarjille.org).
« Entretiens avec Emmanuel Guibert», par Bettina Egger. Éditions Jarjille (14€) – ISBN 978-2-918658-65-8
« Bêtises », par Franz Suess
Éditions Jarjille (18 €) – ISBN 978-2918658627
Juste en face, les éditions lyonnaises Tanibis. Aurélien Maury, auteur du « Le Dernier Cosmonaute » (2011) était aux côté de Claude Amauger pour présenter et dédicacer son dernier (petit) album « Egg », l’étonnant one-shot grand-guignolesque « Achevé d’imprimer », et signer diverses sérigraphies toutes plus belles les unes que les autres. Malgré de très belles publications, Tanibis semble avoir du mal à trouver sa voie, et ce petit album en forme de fanzine, réalisé à partir de sketchs internet, raconte d’ailleurs très bien cette situation, sous une forme humoristique. Une historiette à placer entre les mésaventures de Libon dans « Animal lecteur », Yves Chaland au niveau style graphique, tant il est vrai que Aurélien Maury est un digne successeur du génie de la ligne Atomium, et peut-être, soyons fous : « Léon la terreur », (Theo Van Den Boogaard) pour le délire de l’histoire. Un petit fascicule futur collector en tous cas.
Paul Kirchner, auteur récemment réédité magnifiquement chez Tanibis avec « Apocalypse » (et les deux tomes du « Bus »), sera en dédicace exceptionnelle au festival International du roman noir de Frontignan du 29 juin au 1er juillet. Claude Amauger m’informe de plus en aparté que l’auteur culte américain sera prochainement à nouveau à l’honneur avec un recueil de strips inédits. Miam.
Il restait peu de temps sur mon planning, mais cela a suffit à découvrir la revue québécoise : Planches, dont déjà dix numéros au bas mots sont parus. Une revue à la maquette et au contenu, à première vue très alléchante, sur laquelle nous reviendrons certainement. http://revueplanches.com/.
À côté, Damien Vidal signait son nouvel album « L’Observatrice », récit scénarisé par l’homme de cinéma Emmanuel Hamon et paru chez Rue de Sèvres ce début d’année. L’occasion d’un court échange intéressant avec cet auteur doué, responsable avec Laurent Galandon du bon reportage BD sur la marque « Lip des héros ordinaires » chez Dargaud en 2014. Si la couverture de « L’Observatrice », récit reportage sur des élections aux Kirghizistan, ne racole pas spécialement, le feuilletage de quelques planches intérieures permet de vérifier que là où l’auteur avait été remarqué auparavant, entre autre grâce à un dessin noir et blanc précis, il offre ici aussi de beaux moments graphiques avec une mise en couleur particulièrement remarquable. Un album à découvrir, au delà de son intérêt social-politique.
Fin de notre visite très rapide, avec l’exposition « Réfugiés », galerie des Terreaux. Un bon moment de partage avec les témoignages exposés des dessinateurs impliqués dans ce projet : Didier KassaÏ, Nicolas Wild, Reinhard Kleist, Damien Glez et Cyrille Pomès, que l’on retrouve intégralement avec les photos et textes associés dans l’album « Réfugiés », publié aux éditions Arte/Invenit.
Une brochure témoignage supplémentaire, en bande dessinée, relative à l’exposition, et faisant office de « catalogue » souvenir était distribué gracieusement sur le salon : 14 pages en papier glacé comptant les mésaventures d’une réfugiée souhaitant se rendre à Calais (« Nurah » de Lucie Castel, éditions Arte – Festival Lyon BD).
Franck GUIGUE
© photos (sauf couvertures) : F. Guigue
Je me permets de revenir sur ma phrase concernant la bande dessinée arabe lors de ce festival BD de Lyon, puisque j’ai un peu mixé-confondu deux choses : l’exposition sur la bande dessinée libanaise, dont on trouve un beau compte-rendu ici : https://www.humanite.fr/au-festival-bd-lyon-les-artistes-libanais-du-collectif-samandal-sexposent-en-voisins-656782, et l’exposition sur la bande dessinée arabe, à Angoulême, pour laquelle un livre catalogue a été édité : http://alifbata.fr/nouvelle-generation-la-bande-dessinee-arabe-aujourdhui/ et que j’ai parcouru à Lyon. Dont acte. Et « rendons à césar… »