Traduction d’une émouvante BD espagnole sur le harcèlement, chez Eidola !

En 1981, un putsch manqué a fait craindre le retour du franquisme en Espagne. Si pour bon nombre d’autochtones, il s’agit de l’année de la peur, pour Adrián et Raúl — qui sont alors en train de quitter l’enfance pour l’adolescence —, c’est plutôt celle où ils sont allés voir « L’Empire contre-attaque » ! En effet, le coup d’État et l’avenir politique du pays n’affectent guère ces deux enfants qui viennent juste d’entrer au collège. Comme ils sont quelque peu différents des autres (l’un est un petit gros et l’autre est boiteux), ce qui leur importe actuellement, c’est leur lutte quotidienne contre la cruauté des autres. « La Peur au ventre » est une histoire poignante et très bien documentée, bien servie par un dessin efficace, proche d’une certaine ligne claire.

Dans leur école, ces deux attachants jeunes garçons vivent quasiment dans la terreur : méprisés par certains de leurs professeurs et subissant régulièrement les moqueries de leurs camarades de classe, ils sont aussi harcelés par des voyous plus âgés qu’eux. Alors que des lettres anonymes menacent de faire sauter le collège, Adrián et Raúl font de leur mieux pour affronter ce monde quelque peu effrayant. N’osant pas expliquer à leurs parents tout ce qui leur arrive, nos deux petits marginalisés peuvent toutefois compter sur la bienveillance de quelques adultes pour se sortir des mauvais pas. Évidemment, les deux camarades se soutiennent mutuellement, mais leur relation va quand même finir par se détériorer au fil des événements. 

Spectateur de cette chancelante amitié enfantine, le lecteur suit avec compassion leurs doutes, joies et peurs, tout au long de ce bel album de 48 pages qui fut proposé à l’origine chez Glénat Espagne, en 2003, sous le titre « Miedo ». À noter que les couleurs de Javier Rodríguez ont été spécialement remaniées par Delphine Rieu pour cette version française : la scénariste, coloriste et éditrice étant, également, responsable d’une traduction qui s’avère très efficace sur le plan de la narration.

            D’ailleurs, le dessinateur espagnol — il vit à Barcelone — a déjà collaboré avec Delphine Rieu, en illustrant de son trait précis et séduisant, avec un style plus manga, les trois premiers tomes de « Lolita HR » : deux sont d’abord publiés aux Humanoïdes associés à partir de 2007, puis le troisième chez Eidola (où la série est désormais entièrement disponible) en 2012. Il met aujourd’hui en images des épisodes de « Daredevil », « Spider-Woman » ou « The Defenders » pour la Marvel.

            Quant à David Muñoz et Antonio Trashorras, scénaristes travaillant pour le cinéma et la télévision espagnole, ils ont écrit avec justesse un récit universel sur le passage à l’adolescence. Dure et tendre à la fois, cette belle bande dessinée sur l’amitié et les peurs enfantines, mais aussi sur la souffrance et l’espoir, fait habilement référence, en arrière-plan, aux événements politiques d’un pays qui avait, alors, encore du mal à se défaire de ses habits franquistes et où les attentats meurtriers se multipliaient.

Gilles RATIER

« La Peur au ventre » par Javier Rodriguez, David Muñoz et Antonio Trashorras

Éditions Eidola (15 €) — EAN : 979-10-90093-46-1

Parution 27 janvier 2023

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Une réponse à Traduction d’une émouvante BD espagnole sur le harcèlement, chez Eidola !

  1. Thark dit :

    Avant même de m’attarder sur le fait que les planches nous conduisent dans l’Espagne du début des 80′s, c’est ce titre de « La peur au ventre », associé à l’un des mots les plus cauchemardesques qui soit – harcèlement – qui me capte et qui résonne profondément…
    A chaud – et avant une lecture prévue pour bientôt – , je me demande si effectivement, au-delà de son apparente efficacité, cette sorte de « Ligne-claire-propre et nette » parvient à être suffisamment vibrante et évocatrice pour son sujet.
    Mais le sujet est tellement important, toujours aussi actuel (voire plus encore, avec nos « chères » technologies désormais incrustées dans les vies de tous), que c’est peut-être le meilleur moyen de l’évoquer à travers une Bande Dessinée.
    Ici, les parti-pris des auteurs – et le choix de ce dessinateur – évitent probablement l’effet repoussoir que pourrait avoir un graphisme « trop » réaliste décrivant des situations anxiogènes, des décors oppressants, des persécuteurs insupportables…
    A vous lire, Gilles, il semble que cette approche soit judicieuse et ne restreigne ni la subtilité ni les émotions qui habitent le récit.
    Tant mieux, on ne parlera jamais assez de ce fléau, quels que soient les médias utilisés pour l’exposer et le combattre. Encore et toujours.

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