« La Mare » : d’un monde l’autre…

Quand un drame bouleverse des vies ordinaires, les proches basculent dans un autre monde, de surcroît lorsque ce tragique devient atavisme familial. Dès lors, notre monde cohabite-t-il avec celui des esprits ? Telle est la question posée par le récit conté par Erik Kriek. Promenons-nous dans les bois…

Feuilletons ce roman graphique signé Kriek. Sombre, la couverture nous focalise sur son héroïne au regard fuyant, posée sur son intriguant décor de futaie. D’emblée, le style s’impose : un dessin aux antipodes de la ligne claire, dont le puissant clair-obscur confère de la dramaturgie à la figuration. La patte de cet illustrateur et dessinateur de bande dessinée saute aux yeux, d’un romantisme consumé, faussement rustique.

Son nom est reconnu dans son pays : les Pays-Bas. Pour l’ensemble de son œuvre, ce quinquagénaire natif d’Amsterdam a remporté dès 2008 le Stripschapprijs : la plus prestigieuse récompense décernée aux bédéistes. En francophonie, Kriek a présenté sa griffe dès 2012 avec « L’Invisible et autres contes fantastiques » (intégrale de ses adaptations d’histoires de H.P. Lovecraft), puis avec « Dans les pins : 5 ballades meurtrières » (en 2016, toujours chez Actes Sud) : une BD que la société de production de Ridley Scott entend adapter au cinéma. Enfin, avec le shakespearien « L’Exilé » (2020) — que Le Figaro considérait comme une lecture essentielle à sa sortie —, il a entamé sa collaboration avec les éditions Anspach.

Quid de ce nouvel opus ? Kriek y maîtrise un récit de genre : une histoire d’horreur et de psychose. Tout débute en 2019 dans les bois de Veluwe, lorsqu’une tempête fait chuter un arbre centenaire. Un couple, Huub et Sara, emménage peu après dans une vieille maison, dont le mari a hérité de son grand-oncle Hendrik. Dans cette bâtisse isolée au fond de la forêt à Oldenhove, le couple imagine son avenir en transformant la remise en atelier pour la femme : une jeune artiste-peintre belge. Dans la hêtraie jouxtant leur jardin, le couple découvre bientôt d’étranges graffitis gravés sur des troncs, puis l’arbre pourri tombé dans une mystérieuse mare aux eaux stagnantes, si noires… 

Noir est aussi l’état d’esprit des arrivants. Si le couple se met au vert, c’est pour surmonter la disparition tragique de Ruben : leur fils de six ans fauché par une voiture en 2013. Désormais, tous deux — lui, le pragmatique, et elle,l’extravagante — espèrent accomplir le processus de deuil dans ce nouvel écrin… Culpabilisée, Sara cauchemarde encore. Fragilisée, elle n’a plus le goût de peindre. Cependant, en abandonnant sa thérapie à l’occasion du déménagement, elle aspire à préparer une exposition australienne. 

Bientôt, le paysagiste voisin, Zwiers, lui apprend qu’une malédiction plane sur ce bois… De surcroît, esprit perdu, une vieille voisine amie du grand-oncle vient avertir Sara qu’elle court un danger… Curieusement, le grand-oncle avait lui aussi perdu un fils : prélude au suicide de sa jeune femme… Et ses vieux carnets ésotériques écrits en islandais présentent des inscriptions similaires à celles des troncs… Une nuit, Sara s’enfonce dans la mare… Bientôt, son galeriste disparaît dans ces bois… Et le mari de ce dernier… Quid de la réalité et du surnaturel ? Du passage entre deux mondes ?

In fine, ce roman graphique de 136 pages s’avère une œuvre inquiétante, au suspens tendu. Angoissant à souhait, comme un conte pour grands enfants.

Jean-François MINIAC 

« La Mare » par Erik Kriek

Éditions Anspach (29 €) — EAN : 978-2-931105-21-4

Parution 23 février 2024

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