Pas facile pour une jeune fille de partir à la découverte de mondes perdus, en 1920…

Après la Première Guerre mondiale, l’émancipation féminine n’en est qu’à ses débuts. Difficile pour l’adolescente Amy de faire comprendre à son père adoptif, trop protecteur, qu’elle préférerait aux musées de Londres partir avec lui dans des expéditions lointaines. Mais elle finit par obtenir gain de cause, et part à la découverte de mondes perdus dans la jungle du Honduras encore britannique : le début d’aventures mouvementés et riches en enseignements.

Le temps est superbe en ce début d’été dans le Londres de 1920. La jeune Amélia, surnommée Amy, revient enchantée d’une expédition ornithologique au British Museum avec son ami Elliot. Elle veut partager ses découvertes avec son père adoptif quand elle entend celui-ci évoquer au téléphone sa prochaine expédition vers un site en lien avec l’Atlantide. S’en suit une discussion animée, car la jeune fille entend accompagner l’archéologue renommé.

L’adulte la renvoie à sa condition de genre : une jeune fille de 13 ans ne peut pas, ne doit pas se risquer dans des voyages dangereux. Amy s’enferme dans sa chambre, troque sa robe pour un pantalon et une tenue adaptée, et trouve de bons arguments pour convaincre la professeur James Harnett. Ils embarquent tous les deux pour un voyage qui va définitivement modifier leurs rapports.

« Les Mondes perdus T1 : Le Crâne de Lubaantun » page 3.

Après une longue traversée de l’Atlantique les Harnett, père et fille, débarquent au Honduras, encore colonie britannique. Avant de se lancer dans l’expédition tant attendue dans le jungle tropicale, ils sont invités à une réception chez le gouverneur. L’occasion pour Amy, en robe très élégante, d’être présentée aux relations de son père dans la bonne société. Elle y croise lady Astor, une femme très intrigante ; sous toutes les acceptations du terme, avant d’être abordée par un jouvenceau très sûr de lui : lord William Kensington.

Le jeune homme se faisant trop entreprenant est repoussé par une Amy outrée, surtout quand celui-ci lui affirme qu’il lui fait gagner du temps, car toutes les jeunes filles de son âge n’attendent qu’une chose : trouver un bon parti comme lui ! Peu après, elle se confie à son père qui ne la comprend pas : pour lui, une jeune fille est destinée à se marier et à avoir des enfants. Évidemment, Amy ne voit pas son avenir ainsi.

« Les Mondes perdus T1 : Le Crâne de Lubaantun » page 9.

Commence alors l’expédition proprement dite dans la jungle d’Amérique centrale vers des ruines mayas qui pourraient cacher des révélations sur l’Atlantide et de biens mystérieux crânes en cristal. Amy découvre la culture d’un pays dont elle ignore tout par l’intermédiaire de Tikal un jeune et beau Hondurien. Elle affirme aussi son caractère en affrontant avec humilité et un certain courage les désagréments de la vie en plein air à proximité d’animaux parfois menaçants.

Amy fait de belles découvertes dans les montagnes de l’actuel Belize. Au-delà de l’exhumation d’un vieil artefact mésoaméricain – le fameux crâne de cristal que recherchait déjà Indiana Jones dans sa quatrième aventure -, Amy évente un trafic d’objets d’art et commence à s’indigner de la domination coloniale exercées sur les descendants de civilisations brillantes. Loin de son quotidien ordinaire, l’adolescente commence à s’interroger sur son passé pour mieux imaginer un avenir, loin des contraintes liées à son genre en ce XXe siècle commençant.

La série « Les Mondes perdus » commence de la meilleure des façons, avec ce premier volume bien écrit, présentant des personnages forts qui évoluent avec l’intrigue. Ainsi Amy, jeune fille de 13 ans couvée par un père adoptif très protecteur, découvre avec sa première expédition toutes les contraintes liées à son sexe par une société encore patriarcale. Courageuse et raisonnable, elle cherche à les contourner en ménageant la susceptibilité de son père. Elle repousse les avances d’un garçon bien né, mais au comportement malsain et elle impose de plus en plus son point de vue à ceux qui l’entourent.

La jungle du Honduras britannique.

Les auteurs traitent de riches thématiques au-delà de la nécessaire émancipation féminine en ce début de XXe siècle : de la spoliation coloniale de biens archéologiques au cours du temps au trafic de trésors artistiques et des affres sentimentaux de l’adolescence au dialogue entre les peuples. En fin d’ouvrage, le journal de bord d’Amy (sur le Honduras britannique) présente de manière didactique, et avec humour, les découvertes de l’adolescente curieuse : des pyramides mayas à une recette de chocolat chaud.

Une pyramide maya.

C’est à une duo d’autrices débutantes que nous devons les aventures d’une jeune Indiana Jones en voie d’émancipation. Le scénario d’Aucha, pertinent, même s’il n’évite pas certaines facilités, est mis en valeur par le dessin dynamique, lumineux et coloré d’Isabelle Lemaux-Piedfert. Venue de l’animation, elle adopte un graphisme à mi-chemin entre le trait franco-belge classique et celui du manga, avec par exemple exagération des expressions faciales.

Nous ne pouvons que féliciter les éditions Dupuis d’avoir donné leur chance à des autrices novices : l’album que l’on découvre, après une couverture travaillée en relief, est étonnant : d’une grande richesse pour des lecteurs, et probablement beaucoup de lectrices, dès 12-13 ans.

« Les Mondes perdus T1 : Le Crâne de Lubaantun » page 30.

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Laurent LESSOUS (l@bd)

« Les Mondes perdus T1 : Le Crâne de Lubaantun » par Isabelle Lemaux-Piedfert et Aucha

Éditions Dupuis (14,50 €) – EAN :  978-2-8085-0197-2

Parution 15 mars 2024

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