Avant de vous imaginer voyager en Italie, et plus précisément dans la Baie de Naples, il faut accepter l’idée d’un personnage incroyable (au sens propre) : l’artiste R. G. Cactus. Celui-ci, à l’image de son nom, est un cactus : un vrai, vert et bourré de piquants, mais habillé comme un gentleman. Dès lors qu’on accepte ce principe visuel, en route pour Capri, au début des années soixante…
Lire la suite...« Spirou et Fantasio T57 : La Mémoire du futur » : âge d’or et souvenirs révolus…
Suite contemporaine du mythique « Spirou et les hommes-bulles » (Roba et Franquin, 1964), « La Mort de Spirou » s’achevait en 2022 sur un insoutenable cliffhanger : le groom star avait-il rendu son dernier souffle dans les abysses de Korallion, cité sous-marine revisitée – façon complexe touristique – par l’ambitieuse Coralie d’Oups ? Poursuivant l’aventure entre nostalgie (les 100 ans des éditions Dupuis), grand spectacle et interrogations néo-technologiques, le trio composé par Sophie Guerrive, Benjamin Abitan et Olivier Schwartz interroge la mémoire de la saga. Un sujet en réinvention perpétuelle, passé et avenir étant solidaires : demain, parait-il surtout, ne meurt jamais…
Si, dès sa couverture, « La Mort de Spirou », 56e opus de la série, pouvait laisser planer un certain doute concernant la pérennité du héros, ce nouvel album annonce d’emblée une toute autre couleur. Déclinant trois thèmes distincts (le passé, entre « mémoire » et Atomium bruxellois de 1958), le présent (avec l’action engagée de Fantasio contre…) et le futur (une partie du titre, associé aux sujets futuristes du clonage ou du caisson hypnotique), le premier plat croise les espaces temporels en renvoyant d’abord à quelques couvertures vintage, la couleur jaune figurant notamment sur les quatre premiers tomes de « Spirou », publiés de 1950 à 1952. Ceci dans la ligne graphique d’André Franquin et d’Yves Chaland, modèles bien connus du style rétro-futuriste et néo-ligne claire d’Olivier Schwartz, mais aussi de divers auteurs liés à l’école de Marcinelle (voir ainsi les couvertures des « Aventures du Vieux Nick » par Marcel Remacle ; premier volume publié par Dupuis en 1960).
Interrogeant fondamentalement le rapport au passé et l’identité réelle de Spirou (un sujet déjà abordé dans la saga, au travers de « La Jeunesse de Spirou », « Machine qui rêve » ou « Dans les griffes de la Vipère »), le visuel du T57 transpose son scénario en métafiction permanente : Spirou ou Fantasio n’y auront de cesse d’osciller entre réalité et espaces virtuels, bulles de filtre et télescopages avec les deux temporalités traversées (les années 1950 et 2020), sujet renvoyant par ailleurs au phénomène plus général de la reprise des univers franco-belges. En un sens, les héros doivent-ils être modernisés, vieillis (« Ric Hochet », « Alix Senator ») ou calqués sur leur matrice initiale (« Blake et Mortimer » ; on pourrait, du reste, citer ici le diptyque des « Sarcophages du 6e continent » (éditions Blake et Mortimer/Dargaud, 2003-2004), passant par Bruxelles en 1958 et questionnant les origines des personnages…) ? Une quadrature du cercle qui implique, à vrai dire, de respecter un cahier des charges implicite, sous le contrôle d’ayants droit et sans chambouler l’essence des personnages, le plus souvent figés dans l’époque de leur création ou leur cadre historique (« Gaston Lagaffe », « Thorgal », « Corto Maltese », etc.).
Aspect meta, disions-nous, car l’univers de Spirou est aussi celui des éditions Dupuis. Lancées par Jean Dupuis en 1922, ces dernières avaient célébré leur anniversaire grâce à « La Fabrique de héros : 100 ans d’édition chez Dupuis » (par José-Louis Bocquet et Serge Honorez), ouvrage collectif publié début janvier 2023. Le 31 octobre, dans « La Véritable Histoire des Éditions Dupuis », ce sera au tour de Christelle Pissavy-Yvernault et David Amram de raconter en plus de 430 pages une épopée éditoriale centenaire devenue légendaire. Un cadre que le présent diptyque ne pouvait négliger, en en faisant même l’angle scénaristique initial : dans « La Mort de Spirou », les héros disparaissent, alors qu’ils sont attendus pour l’anniversaire des 100 ans. Une temporalité replacée dans « La Mémoire du futur », où plusieurs héros historiques se croisent dans une séquence hommage malicieuse, bientôt perturbée par l’irruption… de Cyanure ! Imaginée en 1985 par Tome et Janry dans « Qui arrêtera Cyanure ? », cette automate cybernétique malfaisante renvoyait alors à tout un pan de la science-fiction : de « Frankenstein » aux androïdes apparaissant dans l’œuvre de Philip K. Dick (voir « Blade Runner » de Ridley Scott en 1982). Années 1950-1960 obligent, les auteurs s’amusent avec d’autres références : notamment l’improbable menace sexiste de « L’Attaque de la femme de 50 pieds » (film de Nathan Juran, 1958 ; remake par Tim Burton en cours de production) et le monde virtuel aliénant, soumis aux IA, de « Je n’ai pas de bouche et il faut que je crie » (nouvelle SF dystopique d’Harlan Jay Ellison parue en 1967). Rajoutons encore des éléments un peu plus contemporains, avec les robots mecha des années 1970-1980, façon « Mazinger Z » (1972), « Goldorak » (1975), « Gundam » (1979) ou Transformers » (1983). Dans « La Mémoire du futur », rappelons que Spirou – disparu, englouti… – semble se réveiller en 1958, au beau milieu du salon d’Herbert d’Oups, à l‘époque de « Spirou et les hommes-bulles » et de l’exposition universelle de Bruxelles. Dès lors, la cité sous-marine de Korallion-la-Ville-Bulle n’existe pas… et toutes les aventures postérieures du héros non plus ! Or, Spirou sait que le futur ne ressemble pas à celui – idéalisé – qu’on lui présente ; et pour cause, car il l’a visualisé en rêve : il s’en souvient, et cette tenace « Mémoire du futur » se révélera, bien sûr, très salvatrice.
Si, avec « La Mort de Spirou », le cahier des charges de l’éditeur impliquait de « revenir à une forme d’utopie et de beauté propres à la bande dessinée franco-belge de l’après-guerre », dans la grande tradition des récits de Greg et Franquin, « La Mémoire du futur » multiplie les rebondissements et scènes dantesques (on pourra y lire la déconstruction/reconstruction du héros, thème à la mode…), traités dans un style Atome parfaitement accordé à son sujet semi postapocalyptique. Les scénaristes, Sophie Guerrive et Benjamin Abitan, n’oublient pas pour autant de questionner le présent, entre affres de la réalité virtuelle, mirages du sur-tourisme et menaces écologiques. En creux, l’album replace tout l’avenir de la saga face aux enjeux éditoriaux et commerciaux, de sa pérennité : mais les héros, soyons rassurés, en ont vu d’autres… De fait, sont déjà annoncés d’autres (et futures) aventures, abordant les thématiques du clonage, de l’identité et du transhumanisme. Parions que les antagonistes perpétuels, Zorglub et Cyanure, pourraient y être mêlés…
Clôturons cette chronique en compagnie de Benjamin Abitan, qui a aimablement accepté de répondre à nos questions :
Suite directe de « La Mort de Spirou », ce 57e album doit non seulement résoudre les interrogations laissées en suspens, mais aussi relancer la saga : comment envisagiez-vous, dès l’écriture, ces défis, voire cette « résurrection » programmée ?
B. Abitan : « Les tomes 56-57 étaient pensés depuis le début comme un diptyque, donc, en effet, cet album répond à pas mal de questions qui avaient été posées, en essayant de ne rien oublier en chemin. On avait déjà un peu la structure dès l’écriture du T56. Les héros sont par nature indestructibles, mais ils sont obligés se transformer, sinon ils ne parlent plus de leur époque et c’est plutôt comme ça qu’ils risquent de « mourir ». »
Le retour de Cyanure, mais aussi des hommages à la SF des années 1950 (« L’Attaque de la femme de 50 pieds ») et des références aux mecha et autres cyborgs : comment conjuguer réflexion sur les IA, robotique et réflexions plus générales sur l’environnement, pollué par l’activité humaine ?
B. Abitan : « On essaie de ne pas voir le monde en noir et blanc sur ces sujets. Cyanure est un peu dans la situation de la créature de Frankenstein : consciente, mais considérée comme un objet et se voyant refuser les privilèges accordés aux vivants, sa révolte contre son créateur est compréhensible. Elle n’est pas tendre, mais elle fait un raisonnement qui se tient, et on voit d’ailleurs que beaucoup de gens sont demandeurs de la prison dorée qu’elle leur propose : les vacanciers de Korallion sont déçus d’être libérés, ça leur gâche les vacances… C’est toute l’ambiguïté de la robotique et des IA, sur la crête entre confort et surveillance généralisée. Ce n’est pas nouveau, mais c’est en train d’être réactualisé à grande vitesse. Sur l’environnement, il y a la question des conséquences matérielles de toute une part du progrès technologique qui est présentée aujourd’hui comme déconnectée de la matière, avec des notions comme le « cloud », alors que la réalité de cette surabondance numérique c’est la pollution et l’exploitation des ressources causées par des installations qui consomment beaucoup d’énergie, épuisent les métaux rares et réchauffent l’atmosphère et les océans. Korallion, c’est la promesse de vous faire oublier la réalité en la remplaçant par un « rêve », mais cette substitution repose toujours sur une réalité matérielle invisibilisée, de nature à la fois technologique et sociale (les hommes-bulles exploités). »
Les fans de Spirou semblent toujours tiraillés entre nostalgie et envie de renouveau. Ici, d’une certaine manière, vous semblez solder les comptes des années 1950, en étant sans concessions notamment sur les domaines du sexisme et du racisme. Quid de cette relecture contemporaine des aventures vintage du groom ?
B. Abitan : « Chaque fois qu’une variante de cette question est posée je repense au casque peace and love de Tintin au début des « Picaros ». Ces personnages traversent les époques et sont toujours de leur temps au moment de l’écriture. Le fait que Spirou questionne son époque n’est pas une nouveauté et encore moins une invention de notre part : il l’a toujours fait. Le dispositif de cet album le confronte aux paradoxes que ça implique si on se met à superposer ces époques pour mettre Spirou devant ses propres contradictions. Cela montre que l’évolution de ces personnages n’est pas un continuum uniforme, que Spirou a vraiment changé, et que néanmoins il peut rester Spirou quand même. »
Le Marsupilami ou Zorglub ont ici des rôles de figurants : un clin d’œil, en attendant de les retrouver dans de futurs scénarios, ou une manière de recentrer l’action sur la relation duelle entre Spirou et Fantasio ?
B. Abitan : « J’adore Zorglub, mais il a déjà beaucoup donné ! C’était à la fois demande de l’éditeur et une envie de notre part d’aller chercher d’autres « méchants ». Cyanure n’est pas nouvelle, mais, malgré la force de ce personnage, elle n’avait pas été exploitée au-delà d’un album ; avec toute l’actualité sur l’intelligence artificielle, ça nous a semblé le bon moment pour la faire revenir. Pour le Marsu, il y avait ce thème des 100 ans de Dupuis qui courait un peu sur les deux albums, avec deux fêtes « virtuelles » où sont présents les personnages emblématiques du Spirouverse : une organisée par Cyanure dans le tome 56 et l’autre par les héros dans le 57. Mais il y a quand même beaucoup de monde, en plus de Spirou et Fantasio, dans ces deux albums. Ce n’est pas « La Vallée des bannis »… Et, notamment, il y a Seccotine qui a un rôle très actif dans l’histoire. »
Comment voyez-vous la suite des « Aventures de Spirou », toujours en pleine mutation, entre abandon des albums parallèles, arrivée de la collection « Spirou et Fantasio classique » et potentielles surprises (un nouvel album, dessiné par Janry, ayant déjà été officialisé) ? Avez-vous vous même d’autres projets, seul ou avec vos co-auteurs ?
B. Abitan : « Je crois que ce sont plutôt des questions pour Stéphane Beaujean : l’éditeur. A priori, on va continuer la collection principale, peut-être en se relayant avec Sophie pour faire un scénario chacun en alternance. Et on a déjà quelques idées pour la suite, oui… »
Philippe TOMBLAINE
« Spirou et Fantasio T57 : La Mémoire du futur » par Sophie Guerrive, Benjamin Abitan et Olivier Schwartz
Éditions Dupuis (12,50 €) – EAN : 978-2808503280
Parution 18 octobre 2024
« Spirou et Fantasio T57 : La Mémoire du futur – Cahier 2/2 » par Sophie Guerrive, Benjamin Abitan et Olivier Schwartz
Éditions Dupuis (25 € ; 64 pages ; 2000 ex. avec jaquette illustrée) – EAN : 978-2-8085-0465-2
Parution 27 septembre 2024
Cahiers n°1, février 24 : 15 €
Cahiers n°2, septembre 24 : 25 € !
Inflation de plus de 66%, pas mal !
Je n’achèterai plus chez Dupuis , sauf en occasion.
Le prix des bd a EXPLOSÉ ! Même les libraires s’en plaignent (pour exemple une video récente sur le site de la librairie bd16). C’est affolant.
Stéphane BEAUJEAN, l’éditeur Dupuis s’en expliquait en mai dernier.
Je le cite :
Bonjour à tous.
En fait le premier a été commercialisé avec une erreur de prix.
On avait prévu 4 Cahiers puis on les a réunit en 2 mais on a oublié de changer le prix.
Il aurait dû être à 25 euros.
Il y a beaucoup de papier.
Ce qui explique cela.
Mais je comprends que ça soit surprenant
Ah oui, le coup de l’erreur, excellent !
Je vois bien ça comme ça : Janvier 24, réunion de services chez Dupuis. Mr Boulier, gêné, annonce qu’une grosse boulette a été faite au sujet des cahiers n°1 de Spirou. « t’inquiète, Bouboule, lui répond un jeune cadre aux dents longues (Mr Boulier n’aime pas ces petits jeunes trop familiers. Mr Charles n’aurait jamais accepté ça ! Même Mr Yvan, souvent borderline, comme ils disent, ne se serait pas permis de tels écarts de langage..), te bile pas, le coeur de cible c’est des vieux nostalgiques, et ils ont de la thune ! En plus on rajoutera un couplet sur l’inflation et le prix du papier, ça baigne ! »
Mais peut-être que je fais du mauvais esprit…
Le prix du papier a augmenté de 60 à 80 % en 3 ans. C’est l’une des matières qui a le plus augmenté, car la demande de pate à papier a de surcroit explosé à cause du carton de plus en plus utilisé dans les envois par correspondance.
Après, sur le cahier Spirou, c’est à cause du doublement du nombre de pages. Ca devait être 4 cahiers à 15 euros et ça s’est transformé en deux cahiers à 25 euros.
Il était trop tard pour changer le prix public du premier car la prospection avait été faite. On a corrigé au second en éditant le premier à perte. Sur Spirou, on pouvait se le permettre et au contraire on trouvait que c’était plutôt un geste généreux pour le coeur de cible.
Le tome 56 avait été pour moi ultra décevant, l’histoire inintéressante et dessins vraiment pas à mon goût… je n’avais déjà pas envie de lire la suite mais là le tome 57 est vraiment très laid niveau couverture
L’article est à l’image de Spirou depuis très longtemps : un fouillis complètement incompréhensible.
Il existe aussi une édition spéciale pour les magasins Leclerc tirée à 1 500 exemplaires, avec couverture différente et 8 pages de croquis.