On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« Blake et Mortimer T30 : Signé Olrik » : mythologies et sociétés des profondeurs…
Disparu cet été à 76 ans, le regretté André Juillard avait néanmoins réussi à clôturer « Signé Olrik » : la septième aventure de « Blake et Mortimer » réalisée en compagnie de son complice et scénariste Yves Sente, depuis 2000… Nos héros so british se confrontent au Free Cornwall Group : un mouvement indépendantiste des Cornouailles qui proteste contre l’afflux de migrants. Son leader, surnommé le Grand Druide, ambitionne de retrouver les très symboliques trésors du roi Arthur pour financer de vils attentats et servir la cause antibritannique. Afin de déjouer les menaces qui planent sur le Royaume-Uni, Blake et Mortimer n’ont d’autre choix que de se fier à un allié assez inattendu : un certain colonel Olrik ! Un titre plus mélancolique qu’à l’accoutumée qui, au-delà de son élégant traitement ligne claire, aborde frontalement des sujets très actuels (racisme, nationalisme, extrémismes et refuge dans les anciens dogmes), sans renier l’esprit d’E. P. Jacobs.
En juin 2017, lors de la réalisation de la monographie « André Juillard : dessins d’histoires » (publiée en 2018 par les éditions angoumoisines du Troisième Homme), Yves Sente reçoit un très beau dessin d’André Juillard (reproduit dans l’ouvrage évoqué), l’invitant à lui concocter une future aventure de « Blake et Mortimer » se déroulant notamment dans les Cornouailles, sur les traces légendaires du roi Arthur. Accompagnant son envoi par un magazine d’Histoire qui consacrait son numéro mensuel aux légendes associées, André fournissait ainsi, avec subtilité, le point de départ de l’actuel « Signé Olrik »… Notons que Mortimer, à quelques pas de Stonehenge, évoque « La Cornouaille » : il dresse, de fait, un parallèle amusé entre une ancienne division politique et religieuse, située à l’extrême ouest de la Bretagne (entre Finistère, Côtes-d’Armor et Morbihan actuels), et les Cornouailles (ou la Cornouailles, toujours avec le « s » final), un comté recouvrant l’extrémité sud-ouest de la Grande-Bretagne. Désignée sous le nom de Cornwall en anglais (Kernou en breton), cette subdivision administrative doit son appellation à l’ancien peuple brittonique des Cornovii : une tribu locale qui occupait dans l’Antiquité et le Haut Moyen Âge la région, qualifiée explicitement de « Corne » des îles britanniques.
Pour ce 30e opus de la saga, Yves Sente reconvoque l’éternel antagoniste Olrik, mi-espion international et mi-aristocrate déchu. Le machiavélique individu croupissait à vrai dire en cellule (voir la couverture) depuis la fin du « Testament de William S. » (2016) : titre contextualisé en 1958. Dans la chronologie générale de « Blake et Mortimer », « Signé Olrik » se situe par conséquent entre la fin 1958 et 1959, se positionnant avant des titres comme « Le Piège diabolique » (paru en 1962 et se déroulant en 1960) ou « L’Affaire du collier » (paru en 1967 et se déroulant en 1964). Alors qu’il fait les cent pas (et cauchemarde…) dans la prison londonienne de Wandsworth, Olrik assiste incidemment au tractage aérien effectué par le mystérieux Free Cornwall Group, organisation hostile à l’immigration dans les Cornouailles. Chargé de la sécurité intérieure à la tête du MI5, Blake est chargé d’élucider ce souci politique en dix jours, tandis que Mortimer doit par hasard se rendre dans la même région afin d’y acheminer sa dernière invention : le prototype d’une excavatrice de poche surnommée La Taupe. Un engin, capable d’exploiter les anciennes galeries minières, qui n’est pas sans évoquer une certaine similarité avec le Subglacior antarctique, déployé par le duo Sente/Juillard dans le diptyque « Les Sarcophages du 6e continent » (tomes 16 et 17, 2003-2004). Durant son voyage en train, Mortimer (et les lecteurs) en apprendra plus sur l’histoire des Cornouailles, la culture celtique, la légende du roi Arthur et les pouvoirs associés à la mythique épée Excalibur ; autant de références fortes susceptibles de fédérer quelques velléités nationalistes contre la Couronne britannique.
L’un des sujets-clés du scénario est, nous l’avons dit, la dénonciation de la protestation raciste contre les migrants étrangers : main-d’œuvre pourtant nécessaire localement, afin de pallier la défection des ouvriers mineurs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. À son apogée dans les années 1920, avec 1,2 million de mineurs, et encore 1330 mines exploitées dans les années 1950, le secteur (nationalisé après 1945) ne cessa de décroitre jusqu’au début du XXIe siècle, finissant par être dépassé par les énergies renouvelables. Non sans crises, grèves et mouvement sociaux, tous amplement évoqués dans les séries ou films britanniques (voir « Billy Elliot », « Poldark », « Les Virtuoses », « The Crown », etc.). La dernière houillère a fermé ses portes en 2015, signant la fin d’une histoire économique – plus que polluante – entamée durant la Révolution industrielle. Pour être complet sur le sujet, observons que l’année 1959 fut celle de l’ouverture de la centrale nucléaire de Chapelcross (Écosse), sœur de la centrale nucléaire de Calder Hall (au nord-ouest de l’Angleterre), première à grande échelle du genre à entrer en service en 1956. Une page énergétique, déjà, se tournait…
Ayant mis un point d’honneur à terminer l’album dans les délais malgré sa maladie, André Juillard avait envoyé 55 planches à son éditeur en septembre 2023, puis les sept dernières en avril 2024, avant la mise en couleurs et les retouches nécessaires. Son œuvre-testament aura eu les honneurs d’une prépublication feuilletonnesque dans le quotidien breton Le Télégramme à partir du 7 septembre 2024. Juillard, qui n’avait plus envie de dessiner des paysages exotiques, plébiscitait les cadres britanniques, tels que Londres, Liverpool ou Oxford, lieux dessinés dans de précédents albums. Pour Yves Sente, le challenge consistait plus précisément à croiser les aspects fantastiques ou science-fictionnels – dignes de Jacobs – avec les sujets plus actuels : après les armes bactériologiques (« T14 : La Machination Voronov » en 2000), la décolonisation (« Les Sarcophages du 6e continent »), place donc aux tensions raciales opposant Anglais de souche et migrants venus du Pakistan, d’Inde ou d’Afrique du Sud, sujet devenu un enjeu sociétal contemporain majeur. Ce jeu avec les codes, nécessaire pour ne pas basculer dans un pastiche de l’œuvre original, pousse « Signé Olrik » vers l’esprit du roman social, tout en réservant quelques surprises aux lecteurs : Olrik ne peut-il ainsi qu’être sempiternellement réduit au rôle de méchant caricatural, éternellement destiné à perdre ou à disparaitre ? Rien n’est moins sûr, et son avenir – comme celui des identités et psychologies de Blake et Mortimer, désormais creusées en profondeur – met en perspective le formidable « Opéra de papier » jadis dessiné par Jacobs en 1981 dans ses mémoires. À suivre au prochain tome, sachant que d’autres aventures ont déjà été annoncées par Yves Sente : « La Menace atlante » (une suite du « T7 : L’Énigme de l’Atlantide », dessinée par Peter Van Dongen et prévue fin 2025), « Les Héritiers de l’île de Man » (dessin par Teun Berserik) et « Le Fantôme de Rowan House » (dessin par Peter Van Dongen), ces deux derniers titres se situant entre Londres, Écosse, Ile de Man, Pays de Galles et Jamaïque. De quoi souhaiter quelques bons voyages romanesques et bédéphiles à nos héros et à leurs différents auteurs ! En mémoire de leurs signatures ligne claire…
Philippe TOMBLAINE
« Blake et Mortimer T30 : Signé Olrik » par Yves Sente et André Juillard
Éditions Dargaud (17 €) – EAN : 978-2870973097
Parution 31 octobre 2024
Blake et Mortimer T30 » (version strip) par Yves Sente et André Juillard
Éditions Dargaud (25 € ; 192 pages) – EAN : 978-2870973257
Parution 31 octobre 2024
Bonjour
En juin 2027? Plutôt en juin 2017!
Juillard me manquera, ses Blake et Mortimer étaient dans une classe à part.
Cet article tient décidément plus du publi-reportage pour favoriser les ventes de ce nouveau navet écrit par Sente que d’un survol un minimum critique du résultat final.
Les dessins de Juillard (que j’aime beaucoup pour d’autres séries) sont comme à chaque album de la série très moyen pour représenter l’univers (même les décors sont très vides en fait) des Blake et Mortimer.
On est loin du réalisme jacobsien (et de la fidélité au fond même de l’oeuvre originale si galvaudée dans tous les opus Sente/Juillard) en regard par exemple de ce qu’Aubin réussit à dessiner…
Le scénario de « Signé Olrik » (le titre est la seule bonne idée de ce tome) est languissant, les explications sur la nécessité d’y intégrer Olrik (sous prétexte qu’il sait faire voler un espadon – Cela n’a jamais été montré par Jacobs ni par tous les autres scénaristes qui ont suivis…) sont grotesques.
Le clin d’oeil à Tillieux est interminable.
La nouvelle invention de Mortimer doit nécessairement être utilisée là où les méchants ont de sombres projets…
Mortimer fait son petit protecteur des immigrés du sous-continent indien sans que cela ait grand chose à voir avec l’histoire (cela occupe toujours quelques pages pour rallonger la sauce et atteindre les 62 pages).
Le final est grotesque mais enfin dans 5 albums Sente pourra réutiliser les ficelles (que dis-je les câbles) déjà servies aux lecteurs béats dans l’affaire Francis Blake et le présent album pour cette fois ci redécouvrir le tombeau d’Alexandre le Grand (qu’il s’empressera de faire disparaître dans un éboulement à l’avant dernière page)…
Que cette soupe est triste et de plus en plus indigne des albums réalisés (il y a plus de 50 ans déjà) par E. P. Jacobs cela me rappelle un titre de Largo Wich « la loi du dollar » je crois…
Merci à vous d’être le seul à mentionner Aubin, actuellement au travail sur un prochain album. La série des apocryphes a toujours été partagée entre différents dessinateurs et scénaristes, c’est ce qui lui donne sa richesse (et peut-être son irrégularité…) Je comprends parfaitement que la terrible disparition d’André accapare les esprits, mais ce serait bien de ne pas l’oublier.
Ici (cf https://www.centaurclub.com/forum/viewtopic.php?f=146&t=4124&p=59479#p59479), nous ne l’oublions jamais.
Tout au contraire, le suivi et les encouragements sont toujours prêts à se manifester d’une façon ou d’une autre.
Je/on serait enchantés, as usual, de faire un ou plusieurs points d’étape autour de ce prochain album : que ce soit avec Aubin ou avec certains scénaristes (… sifflote…) qui, je crois, œuvrent en toute complicité pour accomplir leurs forts faits en quête de forts effets.
Si l’un ou les autres ont un désir de partage créatif et communicatif au fur et à mesure de cette phase de réalis’action , well, here we are… And now on, wait and see, gentlemen : In next apocrypha we trust !
THARK
C’est pas faux
C’est un peu dur, surtout, à propos du dessin de Juillard. Le scénario a ses faiblesses évidentes, comme d’autres de la série, pour qui Sente a produit quand même des albums de bonne tenue : La machination Voronov, Le serment des cinq lords, Le bâton de Plutarque. J’ai même un faible pour le diptyque des Sarcophages, pourtant décrié par beaucoup…
Tous ceux-ci étaient dessinés par Juillard, qui s’en est bien tiré ! D’accord, on est assez loin de Jacobs. Mais si on change de perspective et qu’on admet que ces albums sont plus de Juillard entrant dans l’univers de Blake et Mortimer que leur stricte reprise, on perçoit des oeuvres fort honorables.
Quant à la dimension mercantile, elle est commune à toute activité humaine : chacun doit gagner sa vie ; on sait ce qu’il a en coûté à certains régimes d’avoir nié l’économie réelle et la production marchande.
Je n’ai pas vu de cases vides, les décors sont là, avec des fonds, des arrière-plans, une mise en place toujours gracieuse et agréable à l’oeil.
C’est d’abord et évidemment du Juillard. Je le prends comme cela.
Quelques pensées pour le « Terranef » du professeur Barabas de Vandersteen dans la saga de Bob et Bobette. Au point où l’on en est !!… Ces prolongements de Blake et Mortimer sont de plus en plus désolants.