Interview de François Walthéry

Cinq longues années après son aventure avec les dinosaures, l’hôtesse de l’air la plus sexy de la BD nous revient enfin. L’occasion, au delà de ce nouvel album, de passer en revue (de détails), avec cette seconde interview, la longue carrière d’un auteur à la popularité exemplaire, nourrie de rencontres et d’amitiés.

 

 

Natacha et les dinosaures que vous aviez dessiné sur une histoire de Wasterlain, fut publié en 1999 : pourquoi cette attente de cinq ans, la plus longue jamais patientée par vos lecteurs pour le retour de votre héroïne ?

 

Il y a à ce délai plusieurs raisons, dont une opération chirurgicale de la main qui m’a paralysé un certain temps. J’ai aussi travaillé pour d’autres supports, notamment diverses pubs pour des raisons tout simplement alimentaires. Mais le principal problème, c’est que j’ai réalisé cet album entièrement seul sur le plan graphique, sans aucune aide aux décors… ce que je ne suis vraiment pas sûr de recommencer ! Mais je tenais à mettre seul en images ce scénario qui était le dernier de Peyo dans mes cartons. Pour cette raison surtout, l’album tient une place toute particulière dans la série : cette histoire, c’était un truc entre Peyo et moi, un projet qui lui tenait à cœur sans qu’il en fît une urgence.

 

 

 

Commençons précisément par le scénario de Pierre Culliford : quelle fut l’histoire de ce projet, qui semble ne pas dater d’hier ?

 

Et pour cause : il s’agit en fait de la réadaptation par Peyo lui-même, d’un épisode de sa série Jacky et Célestin dessiné en 1959 par Will, et publié dans le quotidien belge Le Soir. La trame était un peu différente en dehors même des personnages, surtout le début de l’intrigue : par exemple, le trafic mystérieux concernait des œuvres d’art, et ne se découvrait pas encore sur une disquette informatique ! Mais l’histoire me plaisait, son rythme était haletant et je l’avais gardé en tête. Bien des années plus tard, j’ai demandé à Peyo s’il accepterait de l’adapter à l’univers de Natacha : il s’est exécuté volontiers et d’une belle façon, en m’offrant les pages du scénario le jour de mon mariage ! Il avait complètement réécrit l’histoire pour mes personnages, ce qui l’occupait dans l’avion vers les Etats-Unis où il se rendait à l’époque deux fois par mois, pour contrôler le making-off des dessins animés produits par Hanna-Barbera. Peyo, au sommet même de la gloire, s’amusait souvent comme ça, il n’a jamais perdu dans le succès des Smurfs ses instincts de créateur. J’ai commencé à travailler sur cette histoire entre deux parutions d’autres projets finalisés : j’aime toujours prendre le temps d’exploiter au mieux un bon récit. Peyo et moi avons en fait publié entre-temps un autre Natacha intitulé La ceinture de Cherchemidi, puis il nous a quittés. Après sa mort, ses conseils parfois très précis m’ont aidé à reprendre La mer de rochers : il m’avait ainsi recommandé de soigner le couple de gangsters, un peu à la Laurel et Hardy…

 

 

 

Le titre poétique de l’album est expliqué par Natacha elle-même, dans une bulle qui fait joliment d’elle une de vos parentes directes.

 

Oui, c’est moi qui ai retenu une formule de mon jeune fils qui m’avait beaucoup plu. Nicolas, tout petit, distinguait la Mer du Nord et ses grandes plages de sable fin, de celle de Jean-Claude Fournier à qui nous rendons souvent visite en Bretagne : « Papa, on va à la mer de rochers ! ». Ce titre m’a vite trotté en tête…

 

 

 

Au final, quel est l’apport exact de Peyo dans l’intrigue de votre album ?

 

L’histoire est à 90 % du Peyo, je n’ai fait qu’y ajouter des réalités technologiques qu’il n’a que peu ou pas du tout connues (comme les téléphones portables) et de nouveaux décors.

 

 

 

Cette collaboration « posthume » n’est pas la première du genre dans votre œuvre : L’ange blond était un scénario offert par Maurice Tillieux.

 

Oui, mais ce précédent est unique, car Maurice avait bien lu nos deux albums Un trône pour Natacha et Le treizième apôtre. Idem pour Peyo qui a            disparu dans l’année suivant la parution de La ceinture de Cherchemidi (dont les décors avaient été assurés par Mittéï) : il m’avait dit aimer le résultat.

 

 

 

Justement, cette histoire de ceinture électro-magnétique aux effets insolites, paraissait davantage issu de l’imaginaire médiéval de Peyo, où les stupéfiants de La mer de rochers trouverait difficilement leur place : dans une aventure de Johan et Pirlouit, la ceinture eût été magique et conduit à semblables péripéties.

 

En effet, cela y ressemblait bien… Pourtant, il s’agissait là encore d’un remake adroit de Jacky et Célestin période Will ! Ses histoires publiées dans Le Soir n’ont jamais connu d’édition en album, contrairement aux épisodes que j’ai dessinés avec Vicq puis Derib et Gos pour scénaristes, supervisés par Peyo.

 

(Au total, la série comptait déjà dix histoires avant mon intervention, dessinées par Will puis Azara.) D’un certain point de vue, cette histoire de Ceinture était de la part de Peyo plus spontanée, plus naturelle que La mer de rochers dont la trame était pour lui comme une gageure : il composait déjà habilement du polar, que ce fût pour Jacky et Célestin ou certaines intrigues de Johan et Pirlouit, mais désirait cette fois trouver des atmosphères plus proches de la série noire, assez influencées par un copain talentueux, nommé…Tillieux. Je crois qu’il y est joliment parvenu.

 

 

 

Cette course-poursuite évoque en effet Gil Jourdan Sur la piste d’un 33 tours, dessiné par Gos : autre histoire de code mystérieux, gravé cette fois sur microsillon…

 

Tout à fait : je crois d’ailleurs que Maurice développait là une idée de Roland, lui-même ancien du studio Peyo. La boucle est bouclée !… Mais La mer de rochers, au-delà de l’influence de Gil Jourdan, demeure typique de Peyo dans l’humour : Natacha engueulant Walthéry, c’est un peu Johan face aux bêtises de Pirlouit. Les personnages de « méchants » sont aussi de son cru, surtout le châtelain mais également ses hommes de main.

 

 

 

L’évocation d’autres grands pères de la BD belge ne serait d’ailleurs pas exagérée, tant vous illustrez dans cet album nombre de moteurs narratifs de l’ « âge d’or » : obscurs et dangereux trafiquants, courses-poursuites de la ville à la mer en passant par les cimes, police plus ou moins clairvoyante… On retrouve même très clairement le Peyo admirateur d’Hergé, avec un radio-amateur un peu obsolète mais digne du Lotus bleu, et des héros cernés à l’intérieur du château rappelant Le secret de la Licorne. (Après l’avalanche sur les méchants de Cherchemidi, comme dans Le Temple du soleil.)

 

Peyo carburait vraiment pour écrire ses histoires, je ne l’ai jamais vu plagier personne. Mais il est évident que j’aurais pu dessiner cette histoire trente ans plus tôt : les ingrédients en sont typiquement ceux de la bonne BD classique.

 

Peyo nageait naturellement dans ces références, et je sais qu’il s’est amusé tout comme moi à retrouver pour Natacha cet univers.

 

 

 

Le personnage de Walter semble depuis plusieurs albums revenu à son statut initial de comparse, qui suit Natacha dans l’action bon gré mal gré…

 

Oui, il est aussi une sorte de souffre-douleur ! Il lui est arrivé dans le passé d’occuper plus nettement le « devant de la scène », jusqu’à voler la vedette à Natacha dans des séquences importantes. Pour Instantanés pour Caltech et Les machines incertaines, le scénariste Borghers et moi lui avions quasiment confié le rôle principal. Il nous semblait intéressant de l’exploiter davantage dans cette histoire de science-fiction. Et son grand-père était le « moteur narratif » d’un autre diptyque, celui-là plus rétro : Le grand pari et Les culottes de fer. Mais je pense que Walter demeure aussi intéressant dans son « second rôle »

 

d’aventurier malgré lui, auquel le lecteur masculin peut s’identifier.

 

 

 

Quant à Natacha, elle semble ici se « lâcher » bien plus franchement que dans ses premiers vols : on la surprend plus d’une fois à jurer comme une charretière…

 

… Et elle ne se gêne pas pour engueuler Walter ! Il est vrai qu’en femme libérée, elle a aussi libéré son langage : il a fallu des années pour y arriver. Ça n’avait d’ailleurs rien de conscient de ma part ni de celle de mes scénaristes !

 

C’est une évolution naturelle, que je constate aujourd’hui avec amusement.

 

 

 

Peut-on supposer, sachant que vous avez vous-même finalisé les dialogues de La mer de rochers, que la personnalité de Natacha a évolué en plus de trente ans en même temps que votre propre regard sur la femme moderne ?

 

Très probablement, elle est à la fois plus entière et plus affinée qu’en 1970. Et Walter se faisant justement sermonner, c’est un peu moi en certaines circonstances face au beau sexe… à ce détail près que je sais répondre !

 

 

 

Pour revenir à vos scénaristes, il est pertinent de les différencier selon certaines constances narratives : Borghers que vous évoquiez à l’instant, a introduit dans la série son goût pour la science-fiction truffée d’action…

 

Oui, il est même critique et lecteur de manuscrits dans ce genre, souvent des auteurs anglo-saxons qu’il lit dans le texte. Je me souviens que cette passion lui prenait déjà beaucoup de temps lorsqu’il vivait en Australie, il y travaille notamment sur internet. Et sa formation d’ingénieur ajoutée à son amour de la série noire, achèvent d’en faire un scénariste très intéressant. Natacha devrait d’ailleurs vivre une autre aventure écrite par lui, et se déroulant en Afrique…

 

 

 

Gos et Wasterlain aiment précisément la grande aventure « exotique ».

 

Oui, Roland a d’emblée fait voyager Natacha bien au-delà des aéroports, tout comme Marc plus tard. Il n’est pas dit que je ne fasse pas de nouveau appel à Gos à l’avenir, s’il était d’accord… Wasterlain est un excellent scénariste, qui vous taille un costume sur mesure. Ce talent est à mon avis sous-exploité et c’est dommage, car ses histoires des Castors pour Mitacq étaient également fameuses.

 

 

 

Raoul Cauvin ne vous a écrit qu’un album paru à ce jour, mais tout à fait typique de son humour : Les nomades du ciel regorge de « running-gags ».

 

J’aimais bien ça, c’est exactement ce type d’intrigue à la fois technique et très cocasse que j’attendais de lui. Et Laudec m’a bien épaulé sur le plan des décors.

 

C’est amusant de relever dans cette histoire notamment, l’empreinte du scénariste jusque dans le graphisme : son univers personnel influence mon trait.

 

 

 

Les deux copains Tillieux et Peyo relèvent plus étroitement du polar, avec une touche de fantaisie chez le père des Schtroumpfs et d’espionnage chez celui de Gil Jourdan.

 

Avec eux, ma mise en page est d’autant plus libre tant je me sens parfaitement à l’aise… jusque dans la séquence onirique pourtant très décalée et presque malsaine que Maurice a glissé dans L’ange blond.

 

 

 

Au final, la série semble divisée en trois grands pôles narratifs : le théâtre aérien, la science-fiction ou le fantastique, et le polar semi réaliste. Or,  vous privilégiez largement ce dernier depuis une quinzaine d’années : seul Natacha et les dinosaures s’en distinguait récemment…

 

C’est juste. Il se trouve que j’apprécie particulièrement les ambiances, le suspense, et j’aime beaucoup dessiner l’action, parfois musclée : je crois que cela se voit ! Pour autant, Natacha n’a pas troqué son uniforme d’hôtesse pour un feutre de détective : je compte bien la réexpédier dans les nuages, sans qu’il s’agisse jamais d’une restriction de décors tant la série reste ouverte à tous les genres d’atmosphère. Une même histoire peut me balader dans bien des directions, c’est aussi un de mes plaisirs et une gageure sur cette héroïne.

 

 

 

Vous soulignez votre goût pour l’action pure : effectivement, dès son troisième album et second scénariste, la série prenait un ton plus adulte qu’avec Gos. Les péripéties de La mémoire de métal sont assez violentes…

 

Je l’avais voulu et Borghers a bien servi ce nouvel éclairage. Il s’agissait de faire plaisir au fan que j’étais de films américains type Bullit ou French connection.

 

Certaines cases de cet album sont calquées sur des cadrages de cinéma, et j’ai trouvé que cela fonctionnait assez bien. On retrouve par après nombre de séquences pareillement conçues, notamment dans Double vol

 

 

 

… jusque dans les dinosaures, où les scènes avec le T-Rex rappellent Jurassic Park sur le plan visuel, au-delà même du thème. Avec le recul, une scène d’action est-elle plus difficile à dessiner qu’un décor somptueux ?

 

Beaucoup plus : l’action pure, même sur fond nu, est exténuante. On se retrouve soi-même en pleine agitation, on se lève de sa table à dessin, on gesticule jusqu’à saisir les bons mouvements… La danse de Saint-Guy du dessinateur !

 

 

 

Edgar-P. Jacobs notamment, se croquait devant son miroir : cela vous arrive-t-il, ou faites-vous poser vos proches pour saisir une attitude ?

 

Les deux, occasionnellement. Il m’arrive d’ailleurs de croquer un personnage féminin à partir d’un modèle masculin, ou inversement : la gestuelle s’y retrouve et prime. Car il faut surtout balayer de l’action le moindre soupçon de « figé ».

 

 

 

Graphiquement, vous portez ici l’album à vous seul après nous avoir habitués à employer des décoristes de talent…

 

C’était déjà le cas sur l’essentiel des  dinosaures : en plus du scénario, Wasterlain était censé s’occuper des grosses bébêtes, mais son opération à la hanche m’a finalement laissé seul sur ma table à dessins au-delà des premières planches. Ici, c’est volontairement que j’ai entrepris seul d’illustrer Peyo, d’abord par vœu de fidélité mais peut-être aussi par amour-propre : depuis plusieurs années, certains lecteurs regrettaient ouvertement le temps des albums dessinés par moi seul. On a même prétendu que je ne faisais plus rien moi-même !

 

 

 

Le choix de Saint Quay-Portrieux pour décor était-il celui de Peyo ?

 

Non, c’est de mes apports à son scénario, qui situait toute l’action en Belgique sans être géographiquement très précis. J’ai préféré faire voyager un peu les personnages, et la Bretagne présentait deux avantages : d’abord, le plaisir de séjourner pour mes repérages dans le pays de Jean-Claude Fournier ; ensuite un cadre propice et typique du polar au bord de mer, avec les embruns qui fouettent la figure… La pluie intervient dans l’album à des fins narratives, pour accentuer la pression sur les personnages. Le coloriste a dû passer deux fois plus de temps que prévu sur mes planches : il m’a maudit ! Mais c’est véritablement l’ambiance qui primait : formellement, j’aurais pu prendre comme décor l’Alsace et ses maisons à colombages, ou encore la Côte d’Azur.

 

 

 

Une séquence sur la plage rappelle beaucoup une autre séquence en bord de mer dans Cherchemidi, hommage explicite à Spirou et les hommes-grenouilles de Jijé…

 

Bien vu : cette réminiscence est de mon cru, un nouveau clin d’œil plus discret.

 

 

 

Avant même ces séquences bretonnes, il est frappant de constater à quel point vous ancrez une fois encore les aventures de vos personnages dans des décors très réalistes, des lieux réels et familiers à nombre de vos lecteurs. Originaire d’Europe de l’Est, Natacha n’en habite pas moins Liège : on en reconnaît les artères et petites rues, vous ouvrez ses librairies de quartier… Vous semblez n’avoir jamais cédé à la tentation d’ « internationaliser » progressivement vos décors, contrairement à Hergé, Franquin ou d’autres qui finirent par gommer certaines références visuelles pour élargir leur lectorat : difficile de situer les gags de Gaston et Prunelle davantage à Bruxelles qu’à Paris…

 

Non, j’aime identifier assez précisément mes décors, pour plusieurs raisons. D’abord, Natacha est effectivement liégeoise, et donc chauvine : c’est une de nos principales caractéristiques, nous aurions pu être français ! Pas question donc de trahir graphiquement les lieux… Plus sérieusement, j’aime représenter les lieux qui m’entourent, comme certains personnages d’ailleurs ; je dessine assez affectivement. Mais je ne pense pas que mes décors soient strictement ultra-réalistes, j’y introduis des variations propres au dessin humoristique… et certaines de mes perspectives peuvent se discuter, tout simplement : je ne prétends pas avoir atteint l’absolue perfection graphique.

 

 

 

Vous évoquez votre plaisir de croquer les gens : on a l’impression que tous les personnages ayant dans le récit un tant soit peu d’importance, de par leurs morphologies détaillées, sont des caricatures de modèles existants !

 

C’est bien le cas, neuf fois sur dix. Je pratique toujours ce genre de distribution des rôles, qui plaît généralement beaucoup aux acteurs eux-même : ainsi, le libraire de la rue Astrid, qui est un copain, est tout content de sa participation !

 

D’autres dessinateurs comme Tibet sont aussi friands de ce type de clins d’œil.

 

Mais les deux gangsters de La mer de rochers n’ont pas forcément plu à tout le monde : je leur ai donné les traits de deux hommes politiques belges, en l’occurrence le ministre des affaires étrangères Louis Michel, ainsi qu’Elio di Roupo président du Parti Socialiste, que j’ai représenté en nabot alors qu’il me dépasse d’une tête ! Il n’y a rien de « subversif » ni d’ « ambigu » dans ces caricatures, même en conservant les prénoms. Eux-même ont bien ri en se découvrant dans l’album, leur entourage un peu moins…  Certains journalistes m’ont carrément accusé de « poujadisme »… sans plus connaître à mon avis le sens de ce mot ! Quoi qu’il en soit c’est toujours par pur amusement, ou par marotte de dessinateur, que j’utilise tel ou tel visage facilement reconnaissable.

 

 

 

Cette interprétation erronée aura au moins souligné publiquement votre don de caricaturiste… Car les « trognes » en formes de clin d’œil, déjà nombreuses dans vos précédents albums, paraissent ici légion. On note d’ailleurs un retour en force du port de la barbe, pourtant passée de mode !

 

On pourrait alors y voir des intégristes belges !… C’est vrai que le détail des « modèles » est amusant à égrener sur chaque nouvelle histoire…Si l’on ouvre l’album page 22, je m’y suis représenté en gamin à qui Walter et Natacha demandent leur chemin, non loin de l’hôtel « Le lion d’or » qui est en fait un bistrot tout près de chez moi. Il faut noter que je me suis plutôt épargné : d’habitude, une gueule de gros singe suffit à m’identifier. On voit également F’Murr en facteur à la page suivante. Les libraires de l’histoire sont donc des copains, et le radio-amateur Louis est un ami d’enfance devenu psychologue, une sorte de baba-cool assez sympathique…

 

 

 

Au volant de la voiture d’un certain « vieux détective privé » nommé Gil Jourdan, nos héros gagnent ensuite la Bretagne…

 

Le restaurant « La Bienvenue » y est rigoureusement reproduit, et son patron également. On y voit Alain Dodier et moi-même précédant Walter et Natacha aux plaisirs de la table… Cet établissement se trouve rue Sainte-Anne, à proximité de la maison de Jean-Claude Fournier, devant laquelle passe en trombe la voiture du mystérieux aristo… qui n’est autre que Jean-Claude Furst, un fameux enseignant bédéphile ! Je ne suis pas le premier à le croquer…

 

 

 

Dès son apparition en inspecteur de police ( !), Fournier est accompagné d’un assistant aux traits évocateurs…

 

Il s’agit de Malo Louarn, auteur dans Spirou des Bonnes gens, de Dupaxon ou encore du Candidat. Encore un breton pur cru ! Leur bureau au commissariat est décoré par des « avis de recherche » qui sont autant de clins d’œil. J’y ai inclus Fada, un ami d’origine corse récemment disparu dont le nom signifiait « berger ». Dans le corps policier, j’ai également employé une personnalité du parti écolo liégeois nommée Luc Toussaint, dont une affiche électorale m’avait jadis amusée : son slogan était « Du roc et du boulot ! ».  Comme je n’ai peur de rien, Luc Duroc et Toussaint Duboulot ( !) apparaissent donc ici comme des jumeaux parodiant les Dupondt… Encore un emprunt à la vie politique belge.

 

 

 

Au seuil de la dernière grande séquence de l’album, ne reconnaît-on pas Raoul Cauvin en chauffeur de taxi ?

 

Ah non, cette ressemblance est pour le coup un pur hasard : je me suis plutôt inspiré d’un copain de bistrot, mais il ne s’agissait pas de Raoul ! En revanche, le château auquel il les conduit tant bien que mal, existe bel et bien pas loin de chez moi : un château mosan en Bretagne, quelle hérésie ! Mais seuls les connaisseurs de ce patrimoine l’auront remarqué… Le garde-chasse a réellement existé dans cette fonction même, dans mon coin quand j’étais petit : son nom était Brisebois !

 

 

 

Tout ce beau monde occulterait presque d’autres références pourtant « formalisées », mais beaucoup plus discrètes. Ainsi, la décoration de la librairie Astrid rappelle les murs de la rédaction dans Gaston (dont le chat se retrouve ici chez Natacha !): des silhouettes cartonnées à l’effigie du Scrameustache, Johan et Pirlouit, Jeannette Pointu, Yakari… On aperçoit également Rubine, votre propre création avec Mythic, passant dans la rue avec son ( ?) gamin. Il semble décidément que vous ressentiez dans le travail un besoin de vous sentir « en famille » ?

 

C’est juste, car je suis assez passéiste. J’aime aussi faire exister ces proches, ces copains, aux yeux de lecteurs qui ne les auront pas connus personnellement… Je suppose que ce goût souligne encore mon caractère d’affectif. Quant au chat, je n’ai pas pensé formellement à celui de Gaston, mais il est évident que le trait animalier de Franquin, bien qu’inimitable, a déteint sur plus d’un dessinateur. Lui-même adorait les matous, je me souviens du sien qu’il appelait Trou-de-balle. Quant à son petit chien, c’était Pisse-trois-gouttes, car dès qu’il était un peu excité… Si j’ai donné pour la première fois un animal à Natacha, c’est un peu en hommage à ma propre chatte : elle a des façons de m’engueuler ou de bouder impayables !

 

 

 

Pour finir ici sur La mer de rochers , quelle fut pour vous la phase la plus difficile dans la longue conception de cet album?

 

Le crayonné a été difficile, l’encrage particulièrement sportif ! Quarante-six pages au crayon, imprimées pour un tirage de tête sorti voici plus d’un an : pour conserver ces crayonnés très poussés, j’ai encré sur des photocopies. Le truc à ne jamais recommencer, du papier qui se gondolait, une horreur ! Je suis sincèrement soulagé que le résultat final n’en souffre pas.

 

 

 

Pour parodier une émission de radio : « que faites-vous en quittant le studio », en l’occurrence après cette période de promotion de l’album ?

 

Je mets les bouchées doubles pour que le prochain me demande moins de temps ! En l’occurrence, je travaille déjà à la reprise du Vieux bleu, sur une nouvelle histoire de l’ami Cauvin. Je continue aussi à superviser Rubine en travaillant par fax avec Dragan de Lazare (bien obligé car il habite Belgrade !). Lui seul assume l’encrage, je me cantonne au story-board avec Mythic, et au crayonné : c’est déjà du boulot ! D’autant que Natacha n’est pas reste : je dispose de six scénarii d’avance.

 

 

 

Dans les années soixante-dix, vous représentiez dans l’histoire Un brin de panique imaginée par Wasterlain, un Concorde supposé piégé en péril au-dessus de New-York…

 

… comme les visions saisissantes de buildings dans Cauchemirage ! Et je devine votre conclusion, après le crash de Roissy et le 11 septembre : oui, la réalité dépasse parfois tristement la fiction… de façon hallucinante ces dernières années. De là à imaginer que Ben Laden ait lu mes albums, je n’y crois pas…

 

 

 

(Propos recueillis par Gilles Colas, le 21/03/2004 au Bourget)

 

 

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