Ansor. Hendrikus Ansor, commissaire de son état. Imaginé par le dessinateur Olivier Wozniak et le scénariste Patrick Weber, le fin limier ostendais revient dans une deuxième enquête qui prend corps dans la prestigieuse station thermale de Spa, en Belgique wallonne. Le lieu, le genre, le style, tout concourt à faire des enquêtes d’Ansor un futur classique.
Lire la suite...Greg, rédacteur en chef de Tintin
Les éditions du Lombard viennent de rééditer, pour notre plus grand plaisir, un très bon western de Greg fort bien mis en images par le trait semi-réaliste et très prometteur (à l’époque) de Derib : « Go West ».
Comme celui qu’elles avaient déjà édité en 1979, cet ouvrage, publié ici dans la belle collection « Millésimes » (au dos toilé rouge comme les premiers albums du Lombard), contient l’intégralité des épisodes de la série : les quarante-six premières planches formant une seule et même histoire découpée, dans l’hebdomadaire Tintin, en six chapitres, aux n°2, 7, 12, 20, 26 et 32 de 1971, l’épisode « Sur la piste du soleil » composé d’une histoire de huit planches publiées dans le n°46 de 1971 et de trente-huit pages du n°34 au n°46 de 1972 (proposées sans interruption), et de « L’Autre rivage », dix-huit planches éditées six ans plus tard, du n°39 au n°46 de 1978 ! En sus, six pages rédactionnelles où Jacques Pessis s’attarde sur l’histoire vraie de la conquête de l’Ouest, sur la carrière de Derib (voir à ce sujet « Le Coin du patrimoine » qui lui est consacré) et sur l’originalité de la prépublication de cette série.
Il faut dire que ce saucissonnage des récits à suivre (en des semblants d’histoires complètes de six à huit planches) ne manqua pas de surprendre les abonnés de l’époque, dont les plus anciens étaient habitués à patienter de vingt à soixante semaines pour connaître le dénouement de l’histoire en cours. C’est le rédacteur en chef en place, Greg (de son vrai nom Michel Regnier)(1), qui instaure cette nouvelle formule destinée à arrêter l’hémorragie des lecteurs d’une nouvelle génération qui ne voulait plus attendre une semaine pour lire la suite de leur série préférée ; ceci après avoir essuyé les plâtres avec sa « Comanche » dessinée par Hermann, dès le n°50 de 1969 ! « J’ai compris qu’avec l’essor de la télévision, les deux pages hebdomadaires n’étaient plus suffisantes et que les lecteurs réclamaient des tranches de lecture plus importantes. C’est pourquoi quelques histoires sont parues en chapitres, comme « Comanche ». Mon idée était de proposer des épisodes ayant un début et une fin, au sein même d’histoires plus longues. Je voulais faire paraître une page d’amorce et une page finale qui n’auraient pas été reproduites lors de la publication des albums, où l’histoire aurait coulé sans interruption ; mais les dessinateurs s’y sont opposés. C’était une époque dorée où ils ne voulaient pas se fatiguer pour rien : ils considéraient ces pages comme perdues… J’ai néanmoins conservé le principe des chapitres. »(2)
Il faut savoir que Greg (1931-1999) n’en était pas à son premier coup d’essai puisque, après être devenu le scénariste-maison(3), du temps où le journal était dirigé par Marcel Dehaye (qui n’était autre que l’ancien secrétaire d’Hergé), il remplaça ce dernier, au poste de rédacteur en chef, en 1965. Il remodela alors Tintin, dès 1966, avec une nouvelle équipe de dessinateurs dont la plupart étaient issus de son studio, tels Hermann (avec « Bernard Prince », l’une de ses meilleures créations réalistes, en janvier 1966) ou Dany (avec « Olivier Rameau » et son monde poétique et imaginaire, en 1968).
En tant que scénariste, Greg préparait alors un cocktail équilibré d’action, de visuel et de classicisme où il s’imposait d’être son propre spectateur. Il écrivait ses histoires en fonction du dessinateur et les détaillait au fur et à mesure, deux planches par deux planches. Bref, c’était un conteur organisé ! Pourtant, Greg n’abandonna pas le dessin pour autant puisque c’est pendant cette période qu’il donna naissance, autant sur le plan narratif que graphique, à « Rock Derby » (en 1960), « Babiole et Zou », « Bolivar » et « Broussaille » (en 1962), et qu’il reprit « Zig et Puce », les personnages d’Alain Saint-Ogan, en 1963.
C’est aussi à cette époque (à partir de 1967) qu’apparurent « Bruno Brazil » où il utilisa le pseudonyme de Louis Albert, jugeant que le nom de Greg était trop présent dans le journal, et la saga de science-fiction « Luc Orient » (voir bdzoom.com/article3510), des séries d’aventures palpitantes où il dévoilait tout son génie du rebondissement.
Quelques esprits chagrins lui reprochèrent alors son trust sur les scénarios de l’hebdomadaire. Un grief qui paraît, aujourd’hui, bien exagéré car, durant cette période, les anciens (André-Paul Duchâteau, Yves Duval, André Désiré Fernez…) continuaient de s’exprimer et, grâce à lui, de nouveaux talents, comme Jacques Acar, Christian Godard, Jean Van Hamme, Jean-Marie Brouyère, Vicq, Bob de Groot ou encore Jean-Luc Vernal arrivaient aussi à émerger, sans trop de problème.
Greg fut d’ailleurs le responsable d’une première opération « coup de canon », au 3ème numéro de janvier 1967 (le n°952 en France), qui lui permit de faire grossir le vénérable magazine des éditions du Lombard en le faisant passer à soixante pages ; ceci avec une gerbe de nouveaux héros et de talents jusqu’alors inconnus !
Et nous voilà donc en 1971 où son « Go West », qui retrace le destin rocambolesque du comptable new-yorkais Barnaby Bumper ruiné par la crise économique de 1866 et contraint d’émigrer avec sa famille dans l’Ouest (une épopée digne d’une superproduction hollywoodienne ou d’un film de John Ford), est le premier à être publié sous cette forme en chapitres, dès la nouvelle formule inaugurée avec le n°2 du 12 janvier (le n°1159 en France) :
numéro où la Une de l’hebdomadaire subit, elle aussi, des modifications de présentation car le titre s’étend désormais sur toute sa largeur pour ne laisser que peu de place au traditionnel logo « Tintin et Milou », où le nombre de pages (dont le papier est devenu de bien meilleure qualité puisque glacé et plus épais) passe de soixante à soixante-quatre, et où l’encart Magazine 2000 se transforme en une vraie revue didactique constituée de vingt pages détachables.
Bien d’autres nouveaux personnages, venus d’horizons divers, ont évidemment droit au même traitement que « Go West », comme si cela pouvait leur garantir un meilleur avenir. Mais cela n’influencera pourtant pas le lancement du boucanier « Yorik des tempêtes » dessiné par Eddy Paape (scénarios d’André-Paul Duchâteau) et de la « Saga du grizzly » où le talentueux Claude Auclair(4) nous conte une traque captivante entre des chasseurs et un ours redoutable : deux histoires également présentes dans cet historique n°2 de 1971.
Pourtant, pour ses nouvelles créations, Greg semble privilégier ce mode de publication en tranches : c’est du moins le cas pour « Les Naufragés d’Arroyoka » avec Claude Auclair (au n°6 de 1971), pour « Les Panthères » avec Edouard Aidans au n°7 (voir bdzoom.com/article3188), pour « Cobalt » avec Walther Fahrer au n°10 et, un peu plus tard (en 1973), pour « Domino » avec André Chéret (voir bdzoom.com/article3833) ; sans parler du « Dani Futuro » des Espagnols Carlos Gimenez et Victor Mora qu’il traduit et adapte lui-même, dès le n°6 de 1971 (voir « Le Coin du patrimoine » consacré à Gimenez ).
Véritable homme-orchestre, le rédacteur en chef est donc entré, depuis quelque temps, dans une phase très productive qui ne fait alors que s’amplifier : reprises de « Clifton » (avec Jo-Ël Azara en 1969, puis avec Turk et Bob De Groot l’année suivante) ou de « Chlorophylle » (avec Dupa, son assistant-dessinateur, au n°26 de 1971), idées pour quelques gags du « Cubitus » du même Dupa, traducteur de séries étrangères comme « La Tribu terrible » de Gordon Bess (depuis 1969), sans oublier son scénario du dessin animé « Tintin et le lac aux requins » (en 1972) après qu’il ait adapté « Tintin et le temple du soleil » pour ce média, en 1969 : une version en bande dessinée proposant les images du film est d’ailleurs publiée dans l’hebdomadaire.(5)
En 1972, Greg ouvre même les pages de l’hebdomadaire à la « bédéphilie » naissante, argumentant que Tintin peut aussi être un outil d’information spécialisé. Ainsi paraîtra la première (mais inachevée à la lettre D) « Encyclopédie mondiale de la bande dessinée » rédigée par Pierre Couperie (qui vient de nous quitter définitivement en ce début d’année), Claude Moliterni et Henri Filippini ; lesquels répertorieront alphabétiquement et commenteront toutes les créations qui ont marqué ce mode d’expression depuis ses origines.
Cependant, la formule du découpage des histoires à suivre en chapitres de 6 à 8 pages ne dure que jusqu’au début de 1973, alors que Greg essaie d’internationaliser Tintin avec des bandes italiennes (« Les Scorpions du désert » et « Corto Maltese » d’Hugo Pratt) ou américaines (« Le Spirit » de Will Eisner). Il faut préciser que Greg est en pleine période US (et il ne s’en cantonnera pas là…) car il revient du premier congrès international de la bande dessinée à New York ! Et il y a fait des rencontres mémorables avec lesquelles il a tissé des liens qui déboucheront sur des créations originales. Mais « Jason Drum » de Gil Kane et « Cannonball Carmody » de Leonard Starr ne seront publiés que bien plus tard dans Tintin (en 1979), « Kelly Green » dessinée par Stan Drake le sera ailleurs (dans Pilote, en 1981), et certaines autres tentatives ne se concrétiseront jamais : telle celle tournant autour d’un certain « Largo Winch », dû à l’imagination de Jean Van Hamme, qui aurait pu être, dès 1973, illustré par John Prentice, le dessinateur de « Rip Kirby ».
Et puis, à partir de 1973, Greg commence à redistribuer ses personnages à quelques-uns des scénaristes dont il a contribué au lancement, en les publiant dans son magazine. Ainsi, il laisse la destinée de « Clifton » aux mains de Bob de Groot (le test se fera sur un court épisode, dès 1972). En 1973 et 1975, Jean-Marie Brouyère et Jacques Acar profitent aussi des largesses de Greg en écrivant chacun un épisode de « Tommy Banco » (série créée en 1970 pour Il Corriere dei Piccoli, hebdomadaire italien qui lui préféra finalement « Luc Orient » dont les droits s’étaient libérés, mais qui le publiera par la suite)(6). Bien avant qu’il trouve enfin le succès avec « Thorgal », Jean Van Hamme récupère « Domino » dès sa deuxième aventure (en 1974). Enfin, en 1975, dans la version française de l’hebdomadaire bruxellois, on découvre deux épisodes d’« Achille Talon » où Vicq seconde Greg pour les scénarios, lors du passage en histoires à suivre de ce ventripotent héros, cantonné jusqu’à lors dans les gags en deux pages, dans Pilote.
En 1975, c’est confirmé, Greg quitte la rédaction de Tintin et accepte un poste de directeur littéraire chez Dargaud ; du même coup, il va freiner sa production. Il est remplacé par Henri Desclez qui amène avec lui l’équipe de dessinateurs qu’il avait constituée à Samedi Jeunesse et au Soir : Cosey, Henri Decoster, Christian Denayer, Franz, Ferry, Jean Pleyers… Puis, de 1976 à 1979, c’est André-Paul Duchâteau, scénariste avec qui Desclez avait également collaboré sur ces précédents supports, qui s’installe à ce poste avant de laisser la place à Jean-Luc Vernal… « Tant qu’il n’y avait que Raymond Leblanc au-dessus de moi, tout a très bien marché. Un jour, Raymond a voulu passer la main à son fils… Guy s’est intercalé entre son père et moi et il voulait appliquer des quotas : tant de pages humoristiques, tant de pages réalistes, etc. Il voulait faire de Tintin le Paris Match des jeunes… Quand Guy Leblanc a commencé à m’emmerder sérieusement, je le lui ai dit, puis j’ai écrit une lettre à son père : « Je crois que ça va bien comme ça. Comme Guy est votre fils et que je ne le suis pas, je ne vous demande pas de choisir entre nous deux : je m’en vais ! ». Il m’a répondu dans une lettre amusante qu’il pensait que je devais aussi être un peu fatigué par ce poste de rédacteur en chef que j’occupais depuis neuf ans. Nous avons déjeuné tous les trois pour fêter mon départ et ça s’est très bien passé… »(2)
Craignant qu’on dise qu’il a été viré, Greg prévient son ami René Goscinny (en charge du journal Pilote publié par Dargaud) de son changement de situation… Trois jours après, Georges Dargaud lui propose le poste de directeur littéraire laissé vacant par Jean-Michel Charlier et lui confie le lancement du bimestriel Achille Talon Magazine (six publications, plus un numéro 0, d’octobre 1975 à août 1976). Il y concevra de nombreuses séries gravitant autour de l’univers d’« Achille Talon » (« Papa Talon » avec Hachel, « Lapomme » avec Marc Wasterlain et « Les Ahlalàààs » avec Derib en 1975, puis « Croûton » avec Claude Marin ou « Arsène Talon » avec Godi, en 1976) et scénarisera deux petits joyaux bien oubliés (« Jo Nuage et Kay Mac Cloud » avec Dany, en 1975, et « Frère Boudin » avec Claude Marin, en 1976 : voir bdzoom.com/article3788). Mais ceci est une autre histoire…
GILLES RATIER, avec Christophe Léchopier (dit « Bichop ») à la technique
(1) Et non des responsables de ce qu’on n’appelait pas encore le « marketing » comme le subodore Jacques Pessis dans son dossier !
(2) Propos de Greg recueillis par Benoît Mouchart dans « Michel Greg : dialogues sans bulles », excellent ouvrage paru aux éditions Dargaud en février 1999.
(3) Il y multiplie les histoires courtes avec Mittéï, Jo-Ël Azara, Maurice Maréchal, Martial (des reprises de La Libre Junior), Liliane et Fred Funcken, Bob II alias Robert Pire (qui fut longtemps son assistant graphique), Dany et Raymond Macherot (pour un petit épisode de « Chlorophylle »), tandis qu’il dépanne Paul Cuvelier sur « Le Poignard magique » (une aventure de « Corentin ») et qu’il lance avec ce dernier « Flamme d’argent » et « Line », transfuge du journal du même nom en 1963 (voir « Le Coin du patrimoine » consacré à Cuvelier ). Á noter que l’héroïne fétiche du magazine Line (qui appartenait aussi aux éditions du Lombard) a été successivement animée par F. Bertier (scénario de Nicolas Goujon), puis par André Gaudelette (scénario de Charles Nugue) et par Rol, avant d’être dynamisée entre les mains expertes de Greg, en 1962.
(4) Voilà encore un dessinateur bien oublié aujourd’hui que les éditions du Lombard feraient bien de réhabiliter en rééditant sa superbe série phare (et écologiste avant l’heure) qui fut publiée dans Tintin à partir de 1973 : « Simon du fleuve » !
(5) Notons qu’Hergé avait déjà eu recours à Greg, en 1957, pour une aventure de « Tintin » qu’il ne réalisa jamais (cette histoire eut même deux versions différentes : « Les Pilules » et « Le Thermozéro »), ainsi que pour les dessins animés télé (courts métrages) du célèbre reporter, en collaboration avec le scénariste américain Charlie Shaws, entre 1964 et 1967. En même temps, pour le studio bruxellois Belvision (filiale du Lombard consacrée à l’animation cinématographique), il écrit les déboires de « Gibus le magicien » pour Robert Pire : une parodie de « Mandrake » en dessin animé.
(6) Un ancien élève d’Eddy Paape signa Jean Roze (ce qui n’était pas son vrai nom) le scénario de la deuxième aventure de « Tommy Banco », en 1972 : « Dix ans d’ombre ». Et Jean-Marie Brouyère réutilisa ce pseudonyme quand il écrivit « Tir sans sommation » (épisode composé de trente-six pages de petit format publiées dans le n°21 de Tintin Sélection, en 1973) : on comprend mieux pourquoi les historiens du 9e art s’y sont, quelque peu, mélangé les pinceaux !
C’est en effet dans le Tintin de cette époque que j’ai lu pour la première fois des histoires du « Spirit » de Will Eisner et j’en ai d’excellents souvenirs en partie grâce aux très bonnes traductions de Greg. Je n’ai pas l’impression que ces traductions aient été exploités par la suite dans les multiples albums parus chez différents éditeurs… et c’est bien dommage car ces tentatives ultérieures avaient parfois un aspect confus (voire carrément brouillon) que n’avaient pas du tout les traductions de Greg (au contraire limpides et fluides). Je n’irai pas jusqu’à dire que ça a peut-être joué sur les ventes mais je le pense quand même un peu…