Le premier tome de « L’Ombre des Lumières » sorti l’an passé (1) se terminait par le départ, en ce milieu du XVIIIe siècle, du malfaisant chevalier de Saint-Sauveur pour le Nouveau Monde. En effet, toutes ses intrigues se sont retournées contre lui ! Après avoir séduit et trompé la jeune Eunice de Clairefont éprise de la philosophie des Lumières, menacé de mort par son mari et criblé de dettes, Saint-Sauveur a été obligé de s’exiler. En débarquant à Québec, il ne désespère cependant pas de retrouver sa place à Versailles, d’autant plus qu’un de ses peu fréquentables amis lui a proposé d’effacer toutes ces dettes s’il accepte de réaliser une mission vengeresse qui va lui permettre de déployer ses funestes talents…
Lire la suite...« Kersten, médecin d’Himmler T1 : Pacte avec le mal » par Fabien Bédouel et Pat Perna
Dessiner et défendre tous ceux qui ont lutté contre la haine et l’intolérance est, comme nous le prouve une actualité plus que tragique, une action citoyenne se devant d’être sans cesse renouvelée… Cette année 2015, commémorative de la fin de la Seconde Guerre mondiale, permet heureusement aux lecteurs de prendre connaissance du parcours incroyable mené il y a 70 ans par des hommes exemplaires comme Félix Kersten : contraint de devenir dès 1939 le médecin personnel d’Himmler, Kersten va peu à peu profiter de ces séances thérapeutiques dans l’antre du mal. Seul capable d’apaiser les souffrances nerveuses du chef des SS, bravant toutes les suspicions, il osera demander pour seul prix de ses services la libération de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants pourtant destinés à la mort. Dessiné par Fabien Bedouel (« L’Or et le Sang », 2009 – 2014) sur un scénario de Patrice Perna, ce premier volume d’un diptyque annoncé nous propulse dans les coulisses effrayantes du Troisième Reich…
En couverture, cadré à la manière d’un portrait, la masse sombre d’Heinrich Himmler semble scruter le lecteur d’inquiétante manière. Ce dernier porte l’uniforme noir et la casquette ornée d’une tête de mort (Totenkopf) et de l’aigle impérial nazi. Ces insignes rappellent qu’à compter de 1929, et jusqu’à la chute du IIIe Reich, Himmler (1900 – 1945) devint le chef de la SS (Schutzstaffel ; de l’allemand « escadron de protection »). Le Reichsführer-SS, fut à ce poste l’un des dignitaires les plus puissants du Troisième Reich , en tant que maître absolu de la SS et le chef de toutes les polices allemandes, dont la Gestapo, particulièrement chargée de la liquidation de l’opposition aux nazis en Allemagne et dans les pays occupés.
Himmler est ici environné des couleurs noires, vert-de gris, jaunes et rouges, qui symbolisent l’encrage historique et confèrent au récit son parfum de thriller noir, mâtiné d’espionnage et de luttes de pouvoir. Cette frontalité totalitaire est endiguée par une autre silhouette apparaissant dans l’ombre, mais au même niveau, que cette figure célèbre du mal : il s’agit bien sûr de Félix Kersten, dont peu de lecteurs actuels ou passés connaissant pourtant le nom et le visage. Cet homme, dont la qualité (médecin) et le destin contraint (pacte avec le mal) sont rappelés par les titres, renverra assez symboliquement à son tour au travail de l’ombre exercé par l’ensemble des espions (auxquels le feutre mou et le col relevé peut faire songer, dans la lignée du « Colonel X » imaginé dans l’immédiat après-guerre par Lucien Bornert et Marijac en compagnie de plusieurs illustrateurs, dont Raymond Poïvet ou Christian Mathelot) et résistants alliés contre l’oppresseur.
Sur ce premier plat, les regards des protagonistes ne peuvent se croiser : tous deux, portant un couvre-chef catégorisant, incarnent une fonction (militaire ou civile), un pouvoir (dignitaire du Reich et scientifique) et un visage (célèbre ou anonyme, donc) en complète opposition. Entre ombres et lumières, semblant figé entre choix moral et obéissance criminelle aux ordres d’Hitler, Himmler semblera déjà porter ici à lui seul le poids des responsabilités et des crimes les plus lourds jamais commis contre l’humanité…
Le destin de Kersten sera raconté en 1960 par Joseph Kessel dans 300 pages intitulées « Les Mains du miracle », biographie romancée alors publiée par Gallimard (réédité chez Folio en 2013), avec une couverture quasi-similaire à l’actuelle version proposée par Glénat. Sans dévoiler le contenu de ce premier album, précisons que Félix Kersten, plus tard consacré comme le « Dernier des Justes » permettra d’empêcher en 1941 la déportation brutale… de plus de 3 millions de Hollandais ! Les mots de Kessel méritent une nouvelle fois d’être rappelés :
« Il s’est trouvé un homme qui, durant les années maudites de 1940-1945, semaine par semaine, mois par mois, a su arracher des victimes au bourreau insensible et fanatique. Cet homme a obtenu de Himmler le tout-puissant, de Himmler l’impitoyable, que des populations entières échappent à l’épouvante de la déportation. Il a empêché que les fours crématoires reçoivent toute la ration de cadavres qui leur était promise. Et seul, désarmé, à demi captif, cet homme a forcé Himmler à ruser, à tricher avec Adolf Hitler, à duper son maître, à trahir son dieu. »
Un pacte indéniable avec le mal, mais au profit de la vie. Félix Kersten, plus que jamais digne du serment d’Hippocrate, sera décoré de la Légion d’honneur à titre posthume en France en novembre 1960, quelques mois après son décès survenu en avril.
On pourra enfin – et en complément – renvoyer les lecteurs intéressés par ce sujet au film documentaire d’Emmanuel Amara, « Kersten, le médecin du Diable » (2008 ; 52 min), disponible gratuitement sur http://www.dailymotion.com/video/x1sr56h_felix-kersten-le-medecin-du-diable_news
Philippe TOMBLAINE
« Kersten, médecin d’Himmler T1 : Pacte avec le mal » par Fabien Bédouel et Pat Perna
Éditions Glénat – 14 janvier 2015 (13, 90 €) – ISBN : 978-2344000588
Magnifique analyse. Vous apportez un éclairage historique particulièrement à propos et exactement dans l’esprit de ce que nous avons cherché à faire passer… J’invite tout vos lecteurs à dévorer le livre de Kessel, encore plus aujourd’hui, à la lumière des récents évènements tragiques que nous venons de traverser et à s’approprier la phrase de Camus qui sert d’introduction à la BD : « Aller jusqu’au bout, ce n’est pas seulement résister, mais aussi se laisser aller. »
Merci beaucoup.
Merci pour ce petit message. Effectivement, de 1945 à 2015, hommages, devoirs de mémoires et réflexions collectives sur (et pour) l’art engagé semblent se répondre, au delà des tragédies… Certains ont confondu caricature et déformation, ironie et cruauté.
Bonjour,
Article très intéressant sur une bande dessinée et une personne qui le sont tout autant.
J’étais hésitant sur cette dilogie, je vais clairement me laisser tenter.
Merci,
NB: il me semble qu’une faute s’est glissée dans votre article: « Et seul, désarmé, à demi captif, cet homme –à forcer– Himmler à ruser, à tricher avec Adolf Hitler »
Il faut lire et relire de tels sujets, finalement rares car noyés dans la « fausse héroïcité » du paysage médiatique. Donner sa vie dans un art, comme défendre l’humanité au milieu de l’enfer, c’est tout de même autre chose. Cet acte, relié à la tragédie Charlie Hebdo, explique aussi l’ampleur de l’actuelle émotion internationale. Qu’en sera-t-il en mai 2015, pour la commémoration de la fin de la Seconde Guerre en Europe ?