Dans « Là où tu vas », Davodeau « n’oublie pas » son humanité…

En mettant en cases et en bulles le métier de sa compagne Françoise Roy, accompagnante pour les personnes atteintes d’Alzheimer et leurs proches au quotidien, Étienne Davodeau retrouve l’intensité émotionnelle de ses plus fameuses BD-reportages : à l’instar des « Mauvaises Gens » ou des « Ignorants » ! Grâce aux témoignages de celle qui est sa première lectrice, l’auteur, fasciné par sa fondamentale empathie, dépeint, avec pudeur et infinie tendresse, les relations, souvent intimes, qu’elle réussit (ou pas !) à nouer avec ses patients qui perdent la mémoire : quasiment 150 pages — en noir et blanc — aussi bouleversantes et sensibles que nécessaires pour mieux comprendre cette maladie pas comme les autres…

Même si elle connaissait bien avec quel respect son compagnon de longue date abordait toujours les éléments de société (1), Françoise a d’abord éprouvé de fortes réticences à dispenser son expérience à Étienne — ceci pendant au moins 15 ans ! —, afin que ce dernier transpose en bande dessinée son savoir-faire. Outre le fait que son tempérament ne l’incitait pas à se mettre en avant, elle argumentait que son investissement auprès de ces personnes qui souffrent de pathologies neurodégénératives pourrait vite devenir un sujet anxiogène.

Toutefois, à l’approche de la soixantaine, l’auteur de « Lulu : femme nue » — aussi compétent dans les reportages que dans la fiction — a réussi, à longueur de temps et de patience, à la convaincre, pour qu’ils puissent, tous les deux, entreprendre ce chantier, lequel aura duré plus de deux ans : un livre, instructif, qui pourrait être utile à tous ceux qui traversent ces épreuves.

Il s’agira, avant tout, de mettre en lumière l’importance de son accompagnement à domicile, adapté aux personnes atteintes de troubles cognitifs — et à leurs familles — pour qui la qualité du moment présent est essentielle. Françoise va, ainsi, raconter à Étienne, au plus près, toutes ces heures primordiales qu’elle vit quotidiennement, où chaque instant compte, et comment elle arrive, la plupart du temps, à côtoyer des gens qui ne vont pas forcément se souvenir d’elle : celui qui partage sa vie lui ayant demandé que « Là où tu vas, chaque jour, tu seras mes yeux et mes oreilles », tout en lui assurant qu’il préservera l’intimité des individus concernés.

On découvre alors la singularité de ces existences vibrantes au pays de la mémoire qui flanche : celles de ces jusque-là inconnus que sont, sous couvert d’anonymat, Monsieur Saulnier, Madame Marchand, Madame Maleau, ou encore Cédric (le seul dont c’est le vrai prénom), les techniques et les lieux qui permettent d’avancer, les aboutissements, mais aussi les échecs…

En ayant embarqué la femme qu’il aime dans ce récit généreux, lequel a certainement été (et sera !) un épisode important de leur vie de couple, Davodeau réussi finalement, tout en imposant une fois de plus son style graphique semi-réaliste, à mêler avec brio, comme dans la plupart de ses livres, l’intime et l’universel.

Gilles RATIER

(1)  Sur Étienne Davodeau, voir sur BDzoom.com : Mariage art pariétal et BD !, Dans « Loire », la nouvelle fiction de Davodeau, le personnage principal c’est le fleuve lui-même…, « Le Droit du sol : journal d’un vertige » : Étienne Davodeau, très terre à terre !, Il y a Guyane et Guyane…, La crise de la cinquantaine vue par Davodeau et ses copains…, « Cher Pays de notre enfance : enquête sur les années de plomb de la Ve République » par Étienne Davodeau et Benoît Collombat, La 30e de bd BOUM : Étienne Davodeau, Grand Boum – Ville de Blois 2013, « Le Chien qui louche » par Étienne Davodeau, « Les Ignorants » : récit d’une initiation croisée par Étienne Davodeau, Lulu femme nue T.2, Lulu femme nue…

 « Là où tu vas : voyage au pays de la mémoire qui flanche » par Étienne Davodeau 

Éditions Futuropolis (24 €) — EAN : 9782754845946

Parution 8 octobre 2025

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