La BD italienne : interview de Julio Cesare Cuccolini

Interview de Julio Cesare Cuccolini réalisée à Rome dans le cadre du salon international ExpoCartoon en novembre 2000. Professeur à la faculté de Bologne et auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la BD internationale, Julio Cesare Cuccolini est un des meilleurs spécialistes italiens du genre. Avec lui nous allons tenter de faire le point sur le rôle et l’importance de la bande dessinée en Italie.

 

Yellow Kid : A ton point de vue, quelle est aujourd’hui la place de l’Italie sur la scène internationale de la bande dessinée ?

 

Julio Cesare Cuccolini : Une des toutes dernières places malheureusement. Je ne voudrais pas être ni trop sévère, ni trop critique, mais je suis obligé de constater que depuis plusieurs années la production italienne a subit un certain recul. Pour expliquer cela je dirais tout d’abord qu’il y a une baisse d’intérêt de la part des jeunes pour la bande dessinée, je ne m’étendrai pas sur les raisons de cette désaffection, je crois que tout le monde les connaît surtout celles qui concerne la concurrence des jeux vidéo. Donc, cette situation a provoqué la disparition de certains éditeurs italiens de bandes dessinées et obligé les autres à refaire leurs programmes et à s’adapter à cette nouvelle situation en poursuivant les nouvelles passions de la jeunesse. Ce tournant s’explique par l’apparition des bandes dessinées japonaises, la nouvelle vague des super-héros américains et, d’un point de vue encore un peu artisanal, la publication de fanzines souvent élégants. Ces derniers sont souvent encore mal jugés, les observateurs les trouvant encore trop « primitifs » ou comme nous dirions ici « bruto », mais il faut admettre que ces styles touchent les jeunes de très près !

 

 

YK : Leur diffusion reste bien sûr confidentielle ?

 

JCC : Oui, bien sûr… mais quelque soit la violence de ces nouvelles BD elles n’en sont pas moins expressives. En tous les cas, c’est un style qui n’intéresse pas les amateurs attachés à une certaine qualité de la bande dessinée.

 

YK : Dans ce nouveau décor, quels sont, à ton avis, les principaux auteurs de BD, qu’ils soient scénaristes ou dessinateurs ?

 

 

JCC : Le premier qui me vient à l’esprit est Giardino qui a toujours des qualités immenses, de tout ordre. Il y en a d’autres bien sûr, moins variés, mais qui ont d’ors et déjà laissé une marque importante comme Christiano Sclavi, le scénariste de Dylan Dog

 

YK : La question se rapportait surtout aux auteurs de l’ancienne génération qui continuent, malgré tout cela, à être appréciés des amateurs et qui réussissent encore à être publiés ?

 

 

JCC : Ah oui ! Tu veux parler d’auteurs de style classique comme Giardino. Lui, par exemple ne parvient aujourd’hui à vivre que grâce à sa renommée internationale. Il faut dire qu’un album de Giardino ne se vend en Italie quatre mille, cinq mille exemplaires, peut-être même à dix mille… mais quoi qu’il arrive, dix mille exemplaire sont des chiffres ridicules.

 

 

YK : A quoi ressemble l’édition de bande dessinée en Italie aujourd’hui, il me semble que les albums ont tendance à disparaître au profit d’un renouveau des publications de kiosque telles qu’elles existaient il y a trente ou quarante ans ?

 

 

JCC : Les revues traditionnelles, telles que vous en avez publiés des dizaines, comme Pilote, Charlie Mensuel, (A Suivre) etc  n’existent plus ou presque. La seule qui survive c’est Linus. Mais, elle ne publie que des bandes dessinées quotidiennes américaines humoristiques ou satiriques, et mis à part les vieux Peanuts, il ne propose que les bandes tout à fait actuelles. Pour le rédactionnel, la critique de BD a été remplacée par des textes un peu engagés politiquement. Mis à part  le mensuel Linus, il ne reste qu’un seul hebdomadaire publié et diffusé exclusivement en Italie : il Giornalino qu’éditent les éditions catholiques Periodici San Paolo. Ce journal a jusqu’à présent gardé une ligne éditoriale traditionnelle, à cela près qu’il a renouvelé le contenu pour le mettre plus en prise avec sa clientèle, les styles graphiques comme les idées rédactionnelles ont été un peu modernisés. Le tirage hebdomadaire atteint encore 300 000 exemplaires environ.

 

 

YK : Il y a tout de même d’autres supports ?

 

 

JCC : Non, pas réellement, pour les hebdomadaires traditionnels c’est tout, à cela près qu’il se prépare quelque chose. Si il Giornalino couvre environ les 8/13 ans, le même éditeur s’apprête à lancer un nouvel hebdomadaire réservé à la tranche d’âge 5/7 ans. Mais il faut préciser qu’il existe d’autres hebdomadaires diffusés en kiosques d’un style différend qui se vendent pas trop mal, il s’agit de Lancio Story et Scorpio qu’éditent Laura Editoriale. Depuis 1975, Lancio Story propose surtout du matériel sud-américain, bien qu’au début on y trouvait aussi des bandes dessinées franco-belges et quelques-unes espagnoles. Cette production a été nommée en Italie linéa latina en opposition à celle provenant des Etats-Unis. Si le graphisme de cette ligne était parfois proche du style américain, les histoires, elles, étaient très différentes, touchant plus volontiers aux préoccupations sud-américaines ou même européennes. Le résultat est particulièrement intéressant parce que ces auteurs ont créé leurs propres personnages comme leurs propres mythes au rythme des années. Grâce au succès de Lancio Story et devant l’abondance de matériel, l’éditeur a été en mesure, environ trois ans après, de lancer Scorpio. Puis sont venus les albums de type franco-belge, je crois qu’il en existe aujourd’hui plusieurs centaines. Après quelques années, ils ont commencé à lancer de nouveaux personnages grâce à cette équipe d’auteurs – citons par exemple Robin Wood, Salinas, Enrique Breccia etc. – comme Dago, Martin Hel et quelques autres que publient désormais des mensuels dont le style ressemble à ceux édités par Bonelli.

 

Enfin, viennent les publications populaires mensuelles des Editions Bonelli. Chaque mois, cette maison publie une quinzaine de titres sans oublier les rééditions.

 

 

YK : Quels sont les principaux titres ?

 

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JCC : Eh bien il y a le vieux Tex bien sûr, Dylan Dog qui a débuté vers 1986, Nathan Never, un personnage de science-fiction, Zagor… puis de nombreux autres et enfin le dernier qui se nomme Dampire, un  chasseur de vampire fils de vampire et d’une femme normale qui a réussi à se soustraire à la malédiction. Je dois ajouter que si les connotations de cette histoire paraissent vieillottes, les décors sont par contre très modernes, toujours en prises avec l’actualité la plus brûlante comme la guerre de Bosnie par exemple ! Cette idée de se raccrocher à l’actualité est sans doute une des sources du succès de plusieurs magazines de chez Bonelli. Les scénaristes sont très talentueux dans cette maison.   YK : Et quels sont les principaux dessinateurs de toutes ces séries ?

 

JCC : Bonelli doit travailler avec environ cent-cinquante dessinateurs dont une quinzaine qui sont parmi les meilleurs aujourd’hui… citons dans le désordre Angelo Stano, Carlo Ambrosini, Franco Saudelli, Ivo Milazzo, Claudio Villa, Giancarlo Casertano, Bruno Brindisi, Sergio Toppi, Roberto De Angelis, Giovani Ticci, Roberto Diso, Giovanni Freghieri, Giancarlo Alessandrini, Sicomoro, etc. Enfin, chez Sergio Bonelli, entre les dessinateurs, les scénaristes, les lettreurs, les coloristes et tous les autres, l’équipe doit se monter à deux cents ou deux cents vingt personnes au moins

 

 

YK : Peut-on considérer que nous avons fait le tour des publications italiennes aujourd’hui ?

 

 

JCC : Non, pas encore. Après ce que nous avons évoqué, il y a encore celui des comics traditionnels d’une vingtaine de pages proposant la bande dessinée américaine des super-héros classiques – bien que, comme chacun sait, ils le soient de moins en moins… classiques – comme Superman, Spiderman et Batman, et ceux de la nouvelle génération, j’entends par là celle des super-héros existentialistes du style de Preacher, ce nouveau héros compliqué qui s’attaque aux pires rebuts de la société américaine dans des décors toujours plus angoissants… Tous sont publiés par des maisons comme la Marvel Italia, Play-Press, Magic-Press ou Cult Comics. A cela il faut ajouter l’édition en albums de luxe des aventures de tous ces personnages, car comme souvent les lecteurs ne tolèrent plus d’attendre l’épisode suivant. Quoi-qu’il en soit, c’est un  secteur qui est devenu plus modeste, en terme de diffusion, ces dernières années.  Cela dit il existe également de petites maisons d’éditions, tout à fait modestes, comme Alessandro Edizioni, Hazard Edizioni, Lizard Edizioni, celle d’Hugo Pratt… qui publient des bandes dessinées dans la tradition des albums français, et d’ailleurs, en général, le matériel qu’ils publient viennent de France et de Belgique. C’est un marché qui existe encore, mais il est aujourd’hui très réduit.  D’un point de vue schématique, voilà l’état des publications de bandes dessinées en Italie aujourd’hui.

 

 YK : Quels sont les auteurs franco-belges à la mode en Italie aujourd’hui ?  JCC : Moëbius, Cothias et Juillard, Bourgeon… souvent les auteurs-stars des années 80. Il y aussi des maisons qui publient les grands classiques comme Lucky Luke, Tintin et Astérix, ce dernier étant publié par Mandadori. Il faut dire à ce propos qu’Astérix avait un grand marché qui s’est réduit depuis quelques années.

Je dirais enfin que les Italiens passionnés de bande dessinée franco-belge ont été satisfaits de constater la publication, il y a environ un mois, d’un ouvrage consacré à l’histoire de cette BD mais à travers ses différentes traductions et publications en Italie depuis le début des années 50. Ces publications ont été si variées qu’il est difficile de s’y retrouver et c’est un bouquin qui permet de bien naviguer. Il a été publié chez Alessandro Edizioni. 

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