Laurent Bonneau et Damien Marie font partie de « Ceux qui me touchent » !

C’est la deuxième fois que l’étonnant graphiste Laurent Bonneau (« On sème la folie », « Les Brûlures » avec Zidrou ou « L’Étreinte » avec Jim, tous chez Grand Angle) s’associe au scénariste Damien Marie (« Welcome to Hope », « Ceci est mon corps » ou « Après l’enfer », également chez le même éditeur). En effet, après « Ceux qui me restent » en 2014 qui était consacré à la maladie d’Alzheimer, voici le tout aussi émouvant — si ce n’est plus — « Ceux qui me touchent », au titre totalement justifié. Un ouvrage qui frappe fort, puisqu’il nous parle, en mettant le doigt où ça fait mal, à la fois du processus de la création artistique, de la condition animale, et de l’abrutissement du travail à la chaîne.

Si ces deux œuvres, qui démontrent la parfaite complémentarité entre les deux auteurs, sont tout à fait distinctes et peuvent, évidemment, se lire séparément, comme le précise le scénariste dans le dossier de presse : « Tout les relie. Elles sont un maelström de sentiments et de ressentiments. Dans les deux cas, des situations extrêmes viennent “exhauster” un regard assez contemplatif sur un père et sa fille. Elles sont surtout des regards sociaux sur ce qui nous entoure ; une lecture de nos craintes contemporaines. »

Ayant eu l’autorisation de visiter l’un de ces abattoirs porcins où travaille son héros — un ancien élève des Arts appliqués qui a accepté, pour gagner sa vie, ce boulot sanglant qu’il espère provisoire, mais qui a tendance à trop durer — et d’observer chaque étape de la chaîne de production, Damien Marie en a tiré une sorte de roman très dialogué, mais assez peu descriptif. Il a aussitôt pensé à Laurent Bonneau pour le découper avec ses prises d’angles surprenants ou ses cadrages sophistiqués dans des pages aérées et, bien sûr, pour l’illustrer de ses images colorées, aussi marquantes qu’épurées : les différents coloris utilisés sur les planches symbolisant les changements d’ambiances (les teintes chaudes sont réservées à l’intimité, tandis que les froides sont utilisées pour le monde extérieur, notamment celui du travail). 

Les deux complices nous installent, ainsi, tout au long des 220 pages de ce prenant roman graphique — dont l’émotion est palpable sans avoir besoin de lire les phylactères —, dans une implacable réalité : ils nous mettent face à l’insoutenable production de chair animale, à la détresse des plus démunis ou à la marchandisation des formes d’art. Toutefois, cette histoire d’une terrible lucidité, qui nous interroge, avec justesse, sur nombre de faits de société, est également porteuse d’espoir en l’humanité, car elle ouvre sur le rêve et sur tous les possibles. 

Fabien est donc pris dans l’engrenage d’un aliénant et épuisant travail alimentaire, où il peut être amené à exécuter 25 000 cochons à lui tout seul, en une seule semaine ! Il supporte de plus en plus mal les cadences infernales et l’impression de n’être plus qu’un tueur d’animaux. Il faut dire qu’il y a là de quoi briser toutes ses aspirations artistiques ou ce qui lui reste de moral, et que cela entraîne également pas mal de tensions dans son couple. En effet, sa compagne Aude — qui, elle aussi, morfle son aise — enchaîne les gardes de nuit en soins palliatifs à l’hôpital public, pour apporter un complément de salaire, car ils ont malgré tout des difficultés à joindre les deux bouts.

Heureusement, il y a leur fillette de cinq ans, Élisa : un petit miracle arrivé après les inséminations artificielles et fécondations in vitro, puis les trop nombreuses fausses couches… Une enfant fonceuse et souvent exigeante, car elle n’a évidemment pas conscience de la situation, à qui il faut raconter, tous les soirs, des histoires chaque fois de plus en plus belles, malgré la noirceur de ce quotidien déprimant. Pourtant, à cause d’un étrange porc déclassé et de la rencontre avec la jeune artiste autiste qui lui a tatoué un cœur sur sa couenne, il va avoir un déclic : sa vie va basculer, convaincu qu’il va pouvoir, enfin, créer du beau, de l’art…

Gilles RATIER

« Ceux qui me touchent » par Laurent Bonneau et Damien Marie

Éditions Grand Angle (18,90 €) — EAN : 978-2-8189-9781-9

Parution 23 août 2023

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