Au cœur de la nuit, avec Maran Hrachyan…

C’est au sein de la collection 9 ½ de Glénat que nous avons découvert, il y a plus de deux ans, le talent de Maran Hrachyan. La jeune autrice y dessinait « Patrick Dewaere : à part ça la vie est belle », scénarisé par Laurent-Frédéric Bollée (qui signe souvent seulement LF Bollée) (1). Maran Hrachyan revient actuellement en librairie — toujours chez Glénat —, mais cette fois dans la collection 1000 Feuilles —, avec le thriller « Une nuit avec toi » : elle assure le scénario et le dessin de cette intrigue nocturne.

Dans un appartement de la rue de Tolbiac, une jeune femme — Brune — se prépare pour une fête entre amis. En fond, son ordinateur diffuse un épisode de la série documentaire « Faites entrer le coupable » consacré au Dépeceur des poubelles. Le présentateur relate, avec force détails scabreux, ses 22 viols, dont 15 sont allés jusqu’au meurtre et au démembrement des victimes.
Une fois ses préparatifs terminés, Brune se rend à sa soirée. Importunée dans la rue par un groupe de jeunes hommes, elle prend le métro. Suivie par un passant, elle se remémore un autre épisode de « Faites entrer le coupable » où le meurtrier n’hésitait pas à attaquer ses victimes en plein jour.

Brune


Entre musique, boissons, discussions sur le balcon autour de l’application Tinder et de comptes rendus de dates plus ou moins réussis, la soirée se déroule agréablement pour tout le monde. Un peu plus tard, après avoir pris rendez-vous pour le lendemain avec une amie, Brune décide de rentrer chez elle. Alex, une connaissance habitant dans son voisinage, lui propose de la raccompagner en voiture.

Alex

Finalement, Alex ne s’arrête pas à l’appartement de Brune, trouvant plus pratique d’aller dans son parking, afin de garer sa voiture. Compréhensive, la jeune femme accepte. Puis, Alex propose à Brune de venir visiter son appartement. Refusant dans un premier temps, elle finit par accepter à condition de ne pas rester longtemps.


Après une discussion polie et banale, Brune désire partir, mais Alex la retient pour lui avouer ce qu’il ressent pour elle, pensant que lui et la jeune femme commençaient à devenir plus que des amis. Brune lui rappelle qu’elle est en couple, très amoureuse de son compagnon et que, pour elle, Alex reste un ami. Cherchant à partir, Brune découvre que la porte est fermée. Alex prétexte avoir perdu les clés. Patiemment, Brune l’aide à les chercher, mais le jeune homme devient pressant. La situation s’envenime : ils finissent par en venir aux mains. Lors de la rixe, Alex est mortellement blessé. Perdue, ne sachant que faire, Brune contacte son meilleur ami, Pacôme…

Pacôme


Nous n’allons pas, bien sûr, vous raconter l’intégralité de cette nuit pleine de rebondissements, de quiproquos et d’enchaînements malheureux tissés par le récit noir de l’autrice.

Pour « Une nuit avec toi », Maran Hrachyan continue à travailler au crayon de bois — sa technique graphique préférée —, puis elle colorise numériquement. Grâce à sa gestion des éclairages et des contrastes, le trait de Maran Hrachyan — à l’instar de la musique de Miles Davis qui magnifiait la nuit parisienne dans «  Ascenseur pour l’échafaud » — assure une vraisemblance incroyable pour les ambiances nocturnes.


Interrogeant le regard des hommes sur les femmes, l’écriture de cette histoire a aussi la particularité de poser une certaine ambivalence autour de Brune : une construction qui laissera chacun se faire son jugement sur les motivations de l’héroïne.

Nous avions déjà interrogé Laurent-Frédéric Bollée et Maran Hrachyan pour la sortie de  « Patrick Dewaere : à part çà la vie est belle ». Nous avons retrouvé Maran Hrachyan au festival À Tours de bulles pour un nouvel entretien.

 

Autoportrait réalisé pour La Maison des Auteurs d'Angoulême.

Bonjour Maran, pouvez-vous vous présenter à nouveau aux lecteurs ?

Je suis née en Arménie où — après ma scolarité — je suis entrée à l’Académie des beaux-arts d’Erevan [la capitale de l’Arménie]. En 2008 y eut lieu le premier festival de bande dessinée, organisé par les fondateurs du festival d’Angoulême, notamment Jean Mardikian, dont les parents étaient bien sûr d’origine arménienne. C’est à ce dernier que j’ai montré mon travail et il m’a parlé de l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême (ÉESI). J’ai été retenue et j’ai intégré l’École en 2015, pour cinq ans d’études.

 

Vous avez fait les beaux-arts, car vous aimiez dessiner ?

Oui, j’ai toujours aimé dessiner, c’est pour cette raison j’ai voulu étudier là-bas.

 

La sortie de votre album sur Patrick Dewaere a suivi de peu la fin de vos études à l’ÉESI.

J’ai commencé à dessiner cet album alors que j’étais encore en dernière année. Pendant le festival, je travaillais sur le stand de Glénat ! Ayant vu mon travail, le responsable du stand me proposa de le montrer à Frank Marguin, l’éditeur des collections 1000 Feuilles et 9 ½ (cette dernière étant consacrée au cinéma). Il avait déjà le scénario — et son découpage — réalisés par LF Bollée sur Patrick Dewaere et m’a demandé si je voulais le dessiner !

 

Après « Patrick Dewaere : à part ça la vie est belle », vous aviez l’idée de continuer seule ?

J’ai eu quelques mois de vide, puis une idée d’histoire est venue. J’en ai parlé à Franck Marguin qui m’a suivie. J’ai beaucoup échangé avec lui, lui proposant des directions. Ses conseils m’ont apporté beaucoup et j’ai eu besoin de cette relation d’échange. Une fois le scénario validé, je le story-boarde, je fais les planches au crayon, puis je les numérise et je passe aux couleurs.

Vous aimez travailler au crayon ?

Eh oui ! je me sens très à l’aise pour dessiner au crayon : j’aime bien le grain de crayon sur papier.

 

« Une nuit avec toi » est présenté comme un polar féministe, n’est-il pas plutôt un polar féminin ?

Je n’avais pas cette idée d’étiquette féministe. Je voulais juste faire un thriller, un polar, car j’aime bien les histoires un peu glauques. Je pars de ce genre et y apporte des idées féministes, des problématiques rencontrées par des femmes.

Vous décrivez un monde assez terrible pour les femmes à travers votre émission « Faites entrer le coupable ».

« Faites entrer l’accusé », « Chroniques criminelles »… J’aime écouter ce type d’émissions sur les affaires criminelles. Brune aussi et, par ricochet, certaines situations qu’elle vit lui font penser à des histoires de ce genre. Mais je voulais surtout utiliser cette émission comme une boucle à mon récit.

 

Et malheureusement, on ne peut en dire plus sans divulguer le récit ! On retrouve dans la présentation de l’éditeur la référence à « After Hours » de Martin Scorsese, vous aimez ce film ?

C’est un des films que mon éditeur m’a conseillés, car mon histoire a un peu le même cadre. Elle se déroule sur toute une nuit, où un incident en entraîne un autre. Franck m’avait aussi recommandé « Victoria » de Sebastian Schipper, pour l’idée d’une jeune femme à qui il arrive des ennuis, car elle a juste voulu être sympathique avec un groupe d’amis.

Il est compliqué de concentrer un récit sur une nuit ?

Plus que de concentrer le récit sur une durée, il a été difficile de jouer avec le temps, d’apporter des pauses — avec des séquences de trajet en voiture — ou d’allonger le temps pour montrer un moment où deux personnages sont embarrassés.

 

Cela se ressent lorsque Brune est chez Alex, avec un moment amusant lors du prêt d’une bande dessinée.

Je voulais trouver un prétexte crédible pour qu’Alex retienne Brune chez lui quelque instant de plus et j’ai choisi cette histoire de prêt. Quand il fallut trouver un livre, j’ai choisi mon album sur Patrick Dewaere. Je ne savais pas si cela passerait, mais Franck m’a répondu par un « LOL », nous l’avons donc gardé. J’assume totalement, j’envisage même dans mes prochains albums de faire un clin d’œil à celui d’avant.

Ce sera votre gimmick, un peu comme les apparitions d’Hitchcock dans ses films.

Je conçois mes histoires un peu comme des films. J’imagine les ambiances, les décors, l’aspect des personnages. Pour mon premier album, j’ai regardé tous les films de Patrick Dewaere pour voir comment il se déplaçait, observer ses postures, ses attitudes.

Pour « Une nuit avec toi », je demandais à mes collègues d’atelier de prendre des poses que je photographiais pour pouvoir les dessiner de manière crédible ; certains sont même devenus des figurants dans l’album. D’ailleurs, on me fait remarquer régulièrement que Brune me ressemble, mais je ne me suis pas dessinée. C’est ma gestuelle quotidienne qui s’est peut-être dévoilée à travers mon trait.

 

Vous avez déjà une idée pour votre prochain projet ?

Oui, nous venons même de le signer il y a quelques jours. Le titre sera « L’Ombre dans le miroir ». Ce sera encore un thriller sur la question du double.

Mille mercis nocturnes à Maran Hrachyan pour sa disponibilité.

Brigh BARBER

(1) Voir : « Patrick Dewaere… » : préparer ses mouchoirs ou se souvenir des belles choses ? Les deux, et plus….

« Une nuit avec toi » par Maran Hrachyan 

Éditions Glénat (19,99 €) — EAN : 978-2-344-05074-3

Parution 20 septembre 2023

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