Corto Maltese version Bastien Vivès : et de deux !

Dans l’attente de décisions judiciaires à la suite d’une polémique complexe et d’une enquête en cours (l’exposition qui devait lui être dédiée au salon d’Angoulême ayant été annulée), Bastien Vivès s’est réfugié dans le travail. Il réplique de belle manière à l’adversité avec la publication du second épisode des aventures de « son » Corto Maltese — contemporain —, qu’Hugo Pratt aurait certainement apprécié. Après le prometteur et osé « Océan noir » — qui avait conduit le marin maltais modernisé de Tokyo à l’Équateur —, le Corto Maltese réinventé par Bastien Vivès et Martin Quenehen (pour le scénario) est de retour !

Des rives de l’Adriatique au golfe Persique, des Balkans à Babylone, notre Corto au look de jeune premier est tout aussi à l’aise à notre époque qu’au début du XXe siècle où évoluait le héros d’Hugo Pratt. Les conflits n’ont pas changé, non plus que les hommes… L’histoire commence à Venise en octobre 2002. Corto et son amie Semira assistent à une fête fastueuse. Ils observent une clique de généraux serbes s’apprêtant à négocier, avec leurs clients iraniens, une vente d’armes provenant de l’ex-Yougoslavie : laquelle aura lieu deux jours plus tard, à bord d’un navire mouillant au large de la côte croate. Un rendez-vous à haut risque, qui pourtant incite le jeune couple à jouer les pirates.

Après la fin tragique de Semira, victime du traître Celo, Corto — désespéré — erre sans but, transportant le corps sans vie de la femme qu’il aimait, jusqu’à sa rencontre avec un groupe de Roms qui le recueillent : émouvante séquence ! Corto peut alors lancer la traque de Celo jusqu’en Turquie, puis à Babylone : il yrecherche le trésor de Dhou Al-Qarnaïn, que certains exégètes identifient à Alexandre le Grand…

Une fois encore, la route de l’éternel voyageur croise d’étonnants personnages… et plus particulièrement Bloody Gina : son boss souhaite voir notre héros crever d’une injection létale. Sans pour autant ôter sa nonchalance au héros, Martin Quenehen propose un scénario mouvementé et original, riche en rebondissements. Documenté, sans abreuver le lecteur d’informations inutiles, il respecte — pour notre plus grand plaisir — les codes de la série originale.

Bastien Vivès, dont les travaux précédents lorgnent vers le manga, surprend avec ce détournement malin qui, pour autant, ne déroutera pas les habitués du personnage, bien au contraire. Bien que plus élancé que son modèle, utilisant le portable, portant un tee-shirt dédié à Venezia… c’est à la fois le Corto d’Hugo Pratt et un inconnu qui lui ressemble diablement que l’on retrouve tout au long des 168 pages de cette histoire en noir et blanc habilement tramée. Bien que le travail des repreneurs espagnols de la série classique — Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero — soit remarquable, on peut penser que Martin Quenehen et Bastien Vivès sont plus proches de la personnalité du héros voulue par son créateur vénitien. Le pari était audacieux, le résultat est à la hauteur de nos attentes.

Couverture du tirage en grand format.

Né en 1984, Bastien Vivès est l’enfant de la culture manga et des jeux vidéo. Il fréquente les cours des écoles des Gobelins et Penninghen. Vivès est découvert par la critique dès ses débuts en 2008, avec « Le Goût du chlore », puis « Polina » (publiés chez Casterman) : il obtient le grand prix de la Critique de l’ACBD en 2012. Il « cartonne » avec « Lastman » : manga à la française conçu avec Balak (pseudonyme d’Yves Bigerel) et Michaël Sanlaville. Objet — avec ses éditeurs — d’une accusation de pédopornographie par des organisations féministes, il n’en poursuit pas moins sa brillante carrière. Pour le reste, laissons la justice faire son travail.

Professeur d’histoire, producteur et animateur radiophonique pour France Culture, Martin Quenehen est l’auteur de « Jours tranquilles d’un prof de banlieue ». Il publie en 2020 (chez Casterman) « Quatorze Juillet » : son premier scénario de roman graphique pour Bastien Vivès.

Henri FILIPPINI

« Corto Maltese T2 : La Reine de Babylone » par Bastien Vivès et Martin Quenehen

Éditions Casterman (22 €) — EAN : 978-2-203-7620-8

Parution 18 octobre 2023

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