Les belles images de François Schuiten…

Le dessinateur François Schuiten (1), coauteur avec Benoît Peeters de la célèbre série « Les Cités obscures », avait déclaré, en juin 2019, que l’album « Blake et Mortimer — Le Dernier Pharaon » — qu’il venait de réaliser avec Laurent Durieux, Thomas Gunzig et Jaco Van Dormael — serait son ultime bande dessinée. Or, en cette dense rentrée littéraire pour le 9e art, paraissent deux beaux livres signés par ce maître belge, grand prix du salon d’Angoulême en 2002. D’abord un petit recueil aussi pudique que personnel consacré à Jim, le chien qui l’accompagnait en tous lieux, puis un conséquent « Retour du capitaine Nemo » concluant son œuvre maîtresse : « des bandes dessinées qui ne sont pas des bandes dessinées », comme les qualifie lui-même leur facétieux auteur, en clin d’œil à son compatriote Magritte…

« Jim : lettres d’amour à mon chien », publié aux éditions Rue de Sèvres est donc un ouvrage un peu particulier, où Schuiten rend hommage à son cher compagnon de route décédé en janvier dernier, trouvant dans le dessin le moyen de combler un vide intérieur.

En effet, depuis la disparition de ce très élégant et discret retriever à poil plat noir, l’artiste n’a cessé de l’honorer en produisant une illustration par jour.

Ces dernières représentent uniquement ce chien dont le nom venait du personnage principal de la série américaine « Jungle Jim » d’Alex Raymond et qui avait, par ailleurs, opéré une brève apparition insolite en devenant le chien de Mortimer dans « Le Dernier Pharaon ». 

En compilant et commentant ces images dans ce très beau livre, François Schuiten nous démontre que les liens qui se tissent entre les hommes et leurs animaux de compagnie sont aussi puissants qu’invisibles…

Quant au « Retour du capitaine Nemo », ouvrage à part de la fantastique série concept des « Cités obscures » créée pour le mensuel (À suivre) des éditions Casterman et publiée à partir du n° 53 de juin 1982 (il y a donc plus de 40 ans !!!), son idée est partie d’une commande de la ville d’Amiens — ville d’adoption de Jules Verne, qui y est décédé — à François Schuiten, il y a quatre ans.

Signalons qu’on lui devait déjà la sphère présente en haut de la maison de l’écrivain sise dans cette commune de la Somme où se déroule, aussi, un important rendez-vous de la bande dessinée, depuis 1995.

Le dessinateur a ainsi œuvré avec le sculpteur Pierre Matter sur le projet du jardin de la pieuvre à Amiens, représentant notamment une espèce de sous-marin-poulpe, au croisement du Nautilus et du kraken.

Au fur et à mesure de ses travaux sur cette singulière hybridation, mûrit alors chez Schuiten l’envie d’un récit. 

Lors de l’une des visites à son complice, Benoît Peeters, dont les lectures fabuleuses des romans de Jules Verne ont également enchanté la jeunesse, lui propose tout de go d’« essayer d’en faire quelque chose. »

Les deux comparses vont ainsi très vite se mettre d’accord pour imbriquer finalement l’ensemble dans l’univers des « Cités obscures » : lequel a, auparavant, épousé bien d’autres approches que la forme classique de la BD, à l’instar des albums « L’Archiviste », « L’Écho des Cités » ou « La Route d’Armilia ».

D’autre part, il faut savoir que Schuiten avait déjà réalisé — il y a bientôt 30 ans — les illustrations du roman « Paris au XXe siècle » du célèbre écrivain né à Nantes en 1828, que son éditeur de l’époque (Pierre-Jules Hetzel) avait refusé en 1860 : l’ouvrage comportait en effet quelques faiblesses, mais dévoilait surtout ce côté obscur de Jules Verne que l’on retrouvera, plus tard, dans son personnage de Nemo.

Ainsi, compilant toutes ces images et d’autres produites par Schuiten à la manière des illustrateurs des livres de Verne chez Hetzel, Peeters compose un récit sur le retour du Capitaine Nemo. Ce protagoniste n’est donc pas mort, puisqu’il se réveille, amnésique, à bord d’un drôle d’engin, mi-animal, mi-machine : le Nauti-poulpe, petit vaisseau qui arpente des lieux qui lui sont plus ou moins familiers. 

L’histoire nous fait découvrir le destin du héros des romans « Vingt Mille Lieues sous les mers » et « L’Île mystérieuse » dans 55 premières pages remplies d’impressionnantes illustrations — suivies de sept autres d’une bande dessinée sans phylactère, mais avec un texte narratif sous les dessins — où comme le dit son ami scénariste et écrivain : « François atteint graphiquement le meilleur de son art. »

            Ensuite, les 29 dernières pages de l’ouvrage nous racontent l’histoire de Verne lui-même — de ses premiers romans à la monumentale sculpture en bronze du Nauti-poulpe qui sera bientôt érigée dans la ville d’Amiens — reprenant toutes les images réalisées pour « Paris au XXe siècle » (publiées à l’origine chez Hachette, en 1995) et quelques icônes colorées liées au projet du jardin Octopus à Amiens.

Nul doute que les amateurs de bande dessinée seront eux aussi conquis et ne résisteront pas à l’envie de se procurer ces deux superbes livres-objets hybrides…

Gilles RATIER

(1)  Sur François Schuiten, voir : Le devoir de transmission selon François Schuiten : première partieLe devoir de transmission selon François Schuiten : deuxième partieBlake et Mortimer : Schuiten et les mystères d’une œuvre pharaoniqueAlain Goffin refait son « Plagiat ! »…« Les Cités obscures » : une intégrale monumentale…« Aquarica T1 : Roodhaven » par Benoît Sokal et François SchuitenDe Schuiten à Franquin, un Tonnerre de bulles !« La Douce » par François SchuitenLa Théorie du grain de sable T2

« Les Cités obscures HS : Le Retour du capitaine Nemo » par François Schuiten et Benoît Peeters

Éditions Casterman (26 €) — EAN 978203254398

Parution 25 octobre 2023

« Jim : lettres d’amour à mon chien » par François Schuiten et Benoît Peeters

Éditions Rue de Sèvres (16 €) — EAN 9782810206742

Parution 30 août 2023

Galerie

Une réponse à Les belles images de François Schuiten…

  1. fran6 dit :

    Remarquable ouvrage dont l’idée ne date pas d’hier…
    En effet, dans le Guide des citées obscures paru en 1996, il est précisé dans la chronologie de ce monde parallèle : « 720 Samarobrive- Mystérieuse apparition du capitaine Nemo, ou peut être de Jules Verne ». Par ailleurs, l’écrivain figure dans une notice au chapitre consacré aux « personnages illustres ».
    C’est ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées !

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