« Les 5 Drapeaux » : un républicain espagnol dans l’Europe en guerre…

Pau — Pau Rodríguez Jiménez-Bravo de son nom complet —, avant de devenir un célèbre dessinateur espagnol, passait tous ses étés en compagnie de ses grands-parents avec ses frères, sa sœur et sa petite cousine. Son grand-père, affectueusement surnommé Yoyo, leur racontait ses souvenirs de guerre. La Seconde Guerre mondiale lui avait volé sa jeunesse (il était né en 1919), ceci d’autant plus qu’il avait auparavant activement participé à la Guerre d’Espagne. À sa mort, en 1999, sa famille découvrit des cahiers dans lesquels ce grand-père magnifique avait relaté ses souvenirs. Pau s’en empare pour les adapter en bande dessinée. C’est aux éditions Paquet que sort « Liberté, égalité, fraternité ». C’est le premier tome de la série en devenir « Les 5 Drapeaux » : drapeaux symboliques de la vie de combattant de Yoyo.

L’histoire commence par l’arrivée de Vicente Jiménez-Bravo Jiménez-Bravo (le vrai nom de Yoyo) à la tête de sa compagnie de chars, à la frontière franco-espagnole de Portbou-Cerbère en février 1939, en pleine Retirada. Mêlant civils et troupes républicaines, cette « retraite » vit près d’un demi-million d’Espagnols quitter leur pays, face à l’avancée et aux exactions des troupes franquistes.

Pris au dépourvu par cet afflux de réfugiés, le gouvernement français organise des camps de concentration sur les plages de Méditerranée. Le premier camp fréquenté par Vicente fut celui de Saint-Cyprien-Plage, dans les Pyrénées-Orientales. Une nourriture chiche, des trous dans le sable comme abri : les plus affaiblis ne survivent pas dans ces terribles conditions. Un peu plus d’un mois plus tard, Vicente et des centaines d’autres réfugiés sont déplacés au camp du Barcarès, dans le même département, un peu mieux équipé.

C’est là que Vicente se remémore son parcours de combattant. Face à cette situation de guerre civile, il s’engage dans l’armée régulière dès le début du coup d’État franquiste en juillet 1936. Grâce à de faux papiers d’identité, il parvient à tromper le service de recrutement et entre dans les troupes républicaines. Son frère Manuel décide de suivre son cadet. Ils se battront ensemble dans les montagnes de Guadarrama, puis — lors du siège de Madrid — à Arganda. Manuel y disparaîtra en décembre 1936, pendant la prise de l’hôpital par des mercenaires franquistes surnommés les Marocains, car entraînés en Afrique.

Dès le début du coup d’État perpétré par le général Franco, visant à renverser le gouvernement populaire républicain élu en février 1936, l’Italie de Mussolini et l’Allemagne d’Hitler prêtent main-forte au Caudillo. Devant cette alliance fasciste, les démocraties européennes s’installent dans une neutralité peureuse, craignant de généraliser le conflit à l’ensemble du continent. En réponse, à cette neutralité, se constituent les Brigades internationales : un ensemble de volontaires venus du monde entier pour continuer la lutte. Vicente incorpore alors la célèbre XIIe Brigade internationale Garibaldi, composée en grande partie d’Italiens antifascistes.

Vicente se battra au sein de cette brigade à Guadalajara, Brunete, Belchite, Teruel, la bataille de l’Èbre… Mais ses supérieurs lui attribuent aussi des missions d’aide aux civils. Vicente est envoyé aider la population d’une petite ville, Rubi : il y nouera de forts liens avec Maria, dont la famille l’héberge. Vicente la retrouvera quelque temps plus tard, lorsqu’il obtiendra une permission à la suite d’une blessure lors d’un combat. Malheureusement, la Retirada s’amorce, Maria et sa famille partent. Vicente et sa compagnie restent pour protéger les mouvements de civils

Nous revenons à Barcarès, où Vicente s’occupe de manière constructive. Toujours soucieux des autres, il enseigne la lecture et l’écriture à ses compatriotes analphabètes et prendra, pour lui-même, des cours de français et de mathématiques. Fin du premier album.

Si c’est le drapeau républicain espagnol qui flotte de 1936 à 1939 sur « Liberté, Égalité, Fraternité », le drapeau français dominera l’autre partie de 1939, centrée sur le camp de concentration et les travaux forcés dans les groupes de travailleurs étrangers. Dans le troisième tome, Vicente rejoindra, en 1940, le corps expéditionnaire britannique — et l’Union Jack — pendant la bataille de Dunkerque. Capturé, il se retrouvera prisonnier sous le drapeau nazi en 1941. L’année suivante, Vicente retournera en Espagne — sous les couleurs franquistes — où il sera victime de la répression vengeresse du gouvernement de Franco.

Pau a tenu à ce qu’une partie de ses recherches préparatoires — des documents de son grand-père — soient intégrée à cet album, pour offrir un copieux et très intéressant dossier historique revenant sur le contexte politique, la famille et les amis de Vicente, et donnant de plus amples détails sur les batailles auxquelles il participa, la vie dans les camps de réfugiés ou encore l’armement utilisé.

Une des caractéristiques de l’œuvre de Pau est de peupler son univers graphique d’animaux anthropomorphes, comme on l’a vu avec « La Saga d’Atlas et Axis » et avec « Curtiss Hill » où, déjà, menaçait l’imminence d’un conflit avec une nation fasciste imaginaire. S’ancrant cette fois-ci dans la réalité historique, Pau s’installe dans la lignée de « La Bête est morte » d’Edmond François Calvo — pour l’aspect rond et cartoonesque du dessin — et dans celle de « Maus » d’Art Spiegelman — pour l’aspect biographique et réaliste des situations.

Fresque magistrale sur la Seconde Guerre mondiale, « Les 5 Drapeaux » est un immense hommage à Vicente Jiménez-Bravo Jiménez-Bravo : un combattant républicain devenu — par le travail de son petit-fils — un héros immortel.

Brigh BARBER

« Les 5 Drapeaux T1 : Liberté, égalité, fraternité » par Pau

Éditions Paquet (18 €) — EAN : 978-2-88932-457-6

Parution 13 mars 2024

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2 réponses à « Les 5 Drapeaux » : un républicain espagnol dans l’Europe en guerre…

  1. ECHO dit :

    Il s’agit sans doute d’une BD très intéressante – quoique le style « Calvo » soit un peu surprenant. et daté à mon sens .
    Une petite remarque: il est dit dans la chronique : « à Arganda. Manuel y disparaîtra en décembre 1936, pendant la prise de l’hôpital par des mercenaires franquistes surnommés les Marocains, car entraînés en Afrique. »
    Je ne sais pas si c’est l’auteur lui-même qui présente les choses ainsi, mais il est quand même archi-connu que le fer de lance des troupes franquistes étaient les troupes (régulières, et non de mercenaires) marocaines (ou « moros ») recrutées au Maroc espagnol.
    Ces troupes étaient extrêmement redoutées des populations civiles en Espagne. Il est probable que les cadres franquistes leur laissaient les mains libres pour commettre des exactions et frapper de terreur l’opinion.

  2. Brigh Barber dit :

    Pau explique la nature des troupes marocaines en ces termes dans le dossier historique contenu dans l’album :
    « Les allusions aux Marocains font références aux troupes mercenaires de l’armée insurgée. Des troupes étrangères professionnelles, formées à la guerre en Afrique, qui n’accordaient aucune valeur à la vie des Espagnols ».
    Il est possible que j’ai confondu dans mon interprétation mercenaires et troupes franquistes.

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