Pour la première fois, la célèbre saga historique de Ken Follett aux millions de lecteurs est adaptée en bande dessinée. Adaptation rigoureuse de l’œuvre par Didier Alcante, d’après la traduction effectuée par Jean Rosenthal en 1990. Cette épopée médiévale est réalisée avec le concours de Steven Dupré : un talentueux dessinateur dont la carrière éclectique trouve ici son point d’orgue. Un voyage initiatique au temps des bâtisseurs de cathédrales, dont ce second opus confirme les promesses du premier (1). Une série annoncée en six albums, incontournables pour les amateurs de bandes dessinées historiques.
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Une sélection de plus en plus sévère, afin que vous ne passiez plus à côté des indispensables de la semaine : “ Katharine Cornwell ” par Marc Malès, “ Angle mort ” par Pascale Fonteneau et Olivier Balez et “ C’est mieux à deux : enfin parfois… ” par Eva Rollin.
“ Katharine Cornwell ” par Marc Malès
Editions Humanoïdes associés (12,90 Euros)
Après son remarquable «L’autre laideur, l’autre folie», émouvant roman graphique situé dans l’Amérique du début du XXème siècle, Marc Malès semble toujours aussi fasciné par cette civilisation et par cette époque. Cette fois-ci, le temps de 140 pages, il nous dresse le portrait douloureux d’une actrice de théâtre, tourmentée par ses fantômes et submergée par les difficultés de la vie, pendant les années 1950. Déchiquetée, peu à peu, par une société new-yorkaise cynique et perverse, Katharine Cornwell a de plus en plus de mal à cacher de lourds secrets, comme celui de la mise au monde d’un enfant anormal. Elle se lance alors, à corps perdu, dans le rôle principal d’une pièce d’Eugène O’Neill : la fragile héroïne brune de ce dense et touchant drame psychologique s’identifiant à ce personnage qu’elle interprète sur scène. D’ailleurs, les égarements de cette dernière ne sont guère éloignés de ses tourments, et ce parallèle ne fait qu’accélérer ses problèmes personnels et l’exclusion d’un milieu qui ne cherche guère à la comprendre. En nous dévoilant, encore une fois, toute l’étendue de son art graphique, grâce à son trait sensible, souple et cinématographique (convenant parfaitement à ce genre d’histoires sombres et romanesques), l’illustrateur de «De silence et de sang», de «Mille visages», de «Lucy» ou des biographies romancées d’Hemingway ou de Hammet maîtrise parfaitement les atmosphères, tout en jouant avec les compositions et le noir et blanc !
“ Angle mort ” par Pascale Fonteneau et Olivier Balez
Editions Casterman (9,95 Euros)
KSTR est un nouveau label des éditions Casterman. Il n’y a pas vraiment d’axe privilégié, si ce n’est un format 170x250mm, avec une couverture souple et une pagination d’au moins 96 planches, à la frontière du manga et du roman graphique, ainsi qu’une recherche des auteurs, faite, prioritairement, avec l’outil Internet : le label possède d’ailleurs son propre site qui lui permet, dixit l’éditeur, «de créer une relation directe entre l’éditeur, les auteurs et les lecteurs». Alors que KSTR annonce des auteurs jusque-là inconnus et peu ou pas édités, l’un des meilleurs des 4 premiers albums à notre disposition (pré-publié sur le site www.coconino-world.com, dans une version dédiée web, sous forme de strips) est porté par deux professionnels :
- une romancière posée sur la branche noire de la littérature avec une dizaine de romans dont cinq polars parus dans la «Série Noire» de chez Gallimard, et avec de très nombreuses nouvelles et pièces policières pour la radio.
- un illustrateur et auteur de bandes dessinées publié fréquemment chez Bayard (dans Okapi, Je Bouquine, DLire, J’aime
Côté scénario, cela fonctionne parfaitement, Pascale Fonteneau ayant très bien assimilé la narration particulière de la bande dessinée, ce qui est assez rare chez les romanciers, lesquels sont rarement formés à l’art du découpage et de la mise en scène. Le récit peut même surprendre narrativement puisqu’il se présente du point de vue subjectif et unique d’un personnage que l’on ne voit pas. On nous assène donc son seul champ de vision, lequel consiste à observer, dans la ville de Bruxelles, deux tueurs côte à côte dans une voiture. Ils doivent exécuter un haut fonctionnaire européen, mais c’est la première fois qu’ils travaillent ensemble : l’un est froid et économe dans ses propos, alors que l’autre est bavard et désireux d’afficher sa capacité à maîtriser toutes les situations… Juste avant son rendez-vous, ce dernier venait d’ailleurs de régler une histoire parallèle, toujours sous les yeux de celui qui semple être un acolyte contraint de subir le règlement de trafics minables. Quand au côté du graphisme, l’apparente naïveté du trait subtil d’Olivier Balez est rehaussée par des couleurs lumineuses qui contribuent à l’efficacité narrative et au charme de l’ambiance générale, pourtant assez lourde et glauque. En conclusion, il semble que la collection KSTR veuille devenir l’archétype d’une bande dessinée ambitieuse qui cherche à distraire intelligemment ses lecteurs : essayant d’avoir un propos constructif et critique, tout en restant accessible au plus grand nombre. Un peu comme l’ont fait (et le font toujours, pour certains) les grands romanciers de la littérature noire comme Léo Malet, Didier Daeninckx, Daniel Pennac ou Jean-Patrick Manchette.
“ C’est mieux à deux : enfin parfois… ” par Eva Rollin
Editions Albin Michel (15 Euros)
Même si elle est originaire de France (elle a même étudié la bande dessinée à l’école des Beaux-Arts d’Angoulême), Eva Rollin est aujourd’hui l’une des rares femmes bédéistes installée au Québec. Vivant à Montréal depuis octobre 2002, elle a, comme on dit, bien chopé l’accent du terroir ! C’est-à-dire qu’elle s’est complètement adaptée au système de vie de cet autre côté de l’Atlantique où l’on parle un français pittoresque : un peu comme ses collègues Jean-Louis Tripp et Régis Loisel, d’ailleurs. Mais la comparaison s’arrête là, car Eva, elle, est une humoriste, pratiquant avec talent l’autodérision et la tragi-comédie en images. Son trait est d’ailleurs très proche du dessin d’humour et d’actualité. Après trois recueils des gags de «Mademoiselle» («Manuel de la célibataire», «Candeur et décadence» et «Les sept péchés capiteux») publiés au Québec aux éditions du Marchand de feuilles, une participation au projet «Et vlan !» (un livre où des sketches de trois humoristes sont adaptés en bandes dessinées par six bédéistes québécois) et quelques pages pour Le Psikopat, elle consacre son premier album distribué en France à la vie de couple. Avec son style à elle, Eva sait être tendre et décapante à la fois, et elle nous démontre ici, avec beaucoup de fraîcheur, qu’un petit nid d’amour peut se transformer en véritable guerre des tranchées : éclats de rire garantis !
Gilles RATIER