C’est en 1952 que le marsupilami apparait pour le première fois sous la plume d’André Franquin, dans « Spirou et les Héritiers ». Son nom est un amalgame de trois mots : marsupial – pilou-pilou (ou Jeep, un animal qui vient de la quatrième dimension dans les albums de « Popeye ») – ami. Il a vécu depuis de nombreuses aventures que ce soit avec Spirou et Fantasio ou dans sa propre série. Après Zidrou et Franck Pé, ainsi que l’auteur allemand Flix, c’est au tour de Lewis Trondheim et Alexis Nesme de partir à la recherche des aïeuls de l’animal créé par Franquin. Dans « El Diablo », les conquistadors découvrent, à leur dépens, ce remarquable grimpeur dans la forêt de Palombie
Lire la suite...Annie Goetzinger : l’élégance est à Blois !
C’est aujourd’hui, 20 novembre 2015, que démarre bd BOUM, événement incontournable du 9e art francophone, sous la présidente d’Annie Goetzinger : pionnière du roman graphique qui, outre ses œuvres personnelles, a souvent mis son immense talent de dessinatrice au service de scénaristes tels que Jacques Lob, Rodolphe, Victor Mora ou Pierre Christin. Une formidable exposition, réalisée par Patrick Gaumer et l’équipe de bd BOUM, retracera son parcours dans la Maison de la BD de Blois (3 rue des Jacobins), pendant les trois jours du festival et jusqu’au 30 janvier 2016.
En attendant qu’elle commente elle-même cette présentation sur place, le dimanche 22 novembre à10 h 30, l’érudit Patrick Gaumer (qui l’accompagnera pour l’occasion) lui a posé de nombreuses questions auxquelles elle a gentiment répondu, sans laisser de côté son franc-parler habituel.
Enfance
Je suis née à Paris, dans le XXe arrondissement, rue Alexandre Dumas, précisément. Au fond, c’est peut-être pour cela que je raconte des histoires !
Enfant, je demandais du papier et des crayons et je dessinais. Des thématiques de petite fille, des princesses, une bergère. Pas beaucoup d’animaux. Nous n’en avions pas à la maison car nous habitions un tout petit appartement. J’ai toujours aimé dessiner. Dans ma famille, il y avait des couturières — une de mes grands-tantes avait été première main chez Lanvin, et ma grand-mère était couturière à façon, à domicile donc. Ma grand-mère me faisait des robes et des manteaux, des corsages, des jupes.
Il y avait toutes ces odeurs, toute cette féminité et je me voyais bien devenir dessinatrice de mode. En attendant, au collège, ma prof de dessin m’avait conseillé de passer le concours des Arts appliqués, en m’expliquant que je ne serais sans doute pas admise, mais que ce premier essai me permettrait de savoir à quoi m’attendre… Et j’ai été reçue.
L’École des Arts appliqués qui délivrait un enseignement suffisamment vaste pour affiner mes goûts se situait à l’époque rue Duperré, métro Pigalle. Je m’étais dirigée vers la “figurine“ de mode et je m’y sentais bien. Il y avait même un cours sur la publicité, au cours duquel on nous demandait de dessiner une réclame pour tel ou tel produit… le couteau Seb est un bon exemple.
À cette époque, j’étais une étudiante fauchée et le prêt-à-porter n’existait pas vraiment encore,il m’arrivait de me coudre mes propres vêtements et d’en chiner aux Puces. Cela me permettait de porter des choses que je n’aurais pas pu trouver autrement et de me créer un look très personnel.
Parallèlement, on m’avait conseillé de m’inscrire au cours de bande dessinée que dispensait Georges Pichard. C’était, me semble-t-il, le premier du genre. Et destiné alors exclusivement aux filles puisque l’école n’était pas encore mixte. J’avais lu des BD toute mon enfance, mais je ne me voyais pas trop dans cet univers. Pichard, à la différence d’autres profs, nous guidait sans rien nous imposer. Il avait aussi un sens de l’humour très pince-sans-rire, il était extrêmement cultivé et généreux. Très respectueux, aussi. Lorsqu’il corrigeait ton travail, Pichard prenait un calque sur lequel il notait ses observations. Jamais il ne se serait autorisé à utiliser directement la gomme ou un crayon sur ton dessin.
En fin d’année, j’ai eu un déclic. La bande dessinée avait fini par me toucher au cœur.
J’ai passé le diplôme avec un jury composé notamment de Jacques Lob, scénariste, et de Fred, dessinateur. En sortant, des Arts appliqués, j’ai commencé à courir les salles de rédaction.
Vers 1972-1973, j’habitais chez une dame qui me louait une chambre de son appartement, rue Pradier, pas très loin des Buttes-Chaumont. Cette femme était militante féministe et m’a demandé de dessiner en urgence une affiche pour un meeting sur le droit à l’avortement… c’était bien entendu avant la loi Veil, relative à l’interruption volontaire de grossesse.
« Casque d’or »
Le cours de Pichard se déroulait sur deux ans. Au cours de la deuxième année, nous devions réaliser deux planches pour l’obtention du diplôme.
Il nous fallait trouver un thème qui nous corresponde. J’avais pensé un temps adapter un petit morceau d’Arsène Lupin de Maurice Leblanc, mais c’était compliqué. Pichard m’a incité à piocher dans les faits divers de cette même époque… d’où l’histoire de Casque d’or et de ces deux bandes rivales, celle de Popincourt et celle de Charonne.
Ce sujet m’a d’abord servi pour le passage de mon diplôme, seulement quelques pages bien sûr. Hachette voulait à l’époque publier une collection d’albums autour de grands faits divers. L’occasion pour moi de développer « Casque d’or ».
Le projet a pourtant fait long feu et l’éditeur a revendu ses contrats à Glénat. C’est comme ça que je me suis retrouvée au sommaire du tout nouveau Circus. Glénat l’a repris ensuite en album… Son tout premier album couleur.
« Casque d’or » m’a valu deux récompenses à Angoulême, comme jeune espoir et comme meilleur album de l’année.
« Curriculum BD »
Avant d’être acceptée à Pilote ou bien encore de publier mon premier album, je suis allée chez Bayard. C’est là où j’ai publié mes premières planches de « Fleur ». Dans Lisette, dont la rédactrice en chef, Pierrette Rosset, deviendra la critique littéraire du magazine Elle. Je n’y suis pas restée très longtemps parce que je n’avais pas trop envie d’être cataloguée « dessinatrice pour fillettes » et j’ai fait deux versions plus adultes de mon personnage.
La première histoire, scénarisée par François Truchaud, était destinée à Snark, un projet de Dionnet destiné à Nathan et qui n’a pas dépassé le n° 0, la seconde a paru dans Imagine,une revue plutôt luxueuse, faite par Rodolphe.
Un peu plus tard, sur un texte de Jacques Lob, j’ai pu publier « L’Homme-orchestre de mon enfance », ma première histoire complète pour Pilote.
Je n’avais pas beaucoup de commandes à l’époque et j’ai commencé à prospecter d’autres journaux.
C’est comme ça que j’ai publié, par exemple, « Chère Pelle » dans L’Écho des savanes, dirigé alors par Mandryka.
« Rayon Dames »
Auteur au féminin ? Je ne me suis jamais sentie différente dans ce métier, parce que j’étais une femme…
Je n’ai pas pensé à me poser la question, en démarrant, de savoir s’il y avait plus de garçons que de filles dans cette profession…
Il est vrai que j’ai eu la chance de débuter avec des gens comme Jacques Lob, Georges Pichard, René Goscinny…
Je ne me suis jamais sentie exclue : au contraire, plutôt bienvenue. Ma vie d’auteur au féminin est une vie heureuse…
Charnega
Des vies comme celles de Dolores, il y en a à la pelle partout, autant que de destins fichus, que de gens qui sont inutiles, inutilisés, floués, brisés. J’aurais toujours davantage de sympathie pour eux que pour la famille de « La Demoiselle de la Légion d’honneur ». Je peux m’identifier à Dolores, pas à eux !
Barcelone 1937
La Guerre d’Espagne ! Elle faisait partie de l’imagerie lointaine de ma famille. Une phrase revenait : on avait trahi l’Espagne pendant le Front populaire. Quand je suis arrivée à Barcelone, juste après la mort de Franco, la ville était presque encore en l’état. Elle avait, hélas, gardé la patine de cette époque.
Jacqueline T…
La banlieue ? Celle que j’ai connue se trouvait sur les bords de la Marne. Il y avait l’odeur des lilas au printemps, les bordures de pensées et de myosotis dans le jardin et ma grand-mère, le dimanche, préparait le déjeuner. C’était la chaleur, la famille. On y allait en autobus et, en face de la maison, on jouait au cerf-volant dans un grand champ de blé fleuri de coquelicots.
La lingère amoureuse
Ma famille, ce sont des ébénistes et des couturières. Des artisans, qui ont l’amour de leur métier, qui partent du plat pour finir en volume. Les odeurs… Celle du bois, du tissu…
Ce sont des gens cultivés, amoureux des livres, de la culture en général, qui sont capables de créer des chefs-d’œuvre.
En plus éphémère dans la couture que dans le meuble, parce qu’une robe, ça vous échappe vite. Elles sont là quelque temps dans l’atelier et puis après, elles vivent leur propre vie…
Ruban bleu
Les sentiments ? Ils ont une grande importance dans notre vie. Surtout quand ils se déglinguent… Ce sont les glissements qui m’intéressent, les dérapages dans ce qui est autorisé ou interdit, dans ce qui est « Bien », dans ce qui est « Mal »… Pourquoi est-ce bien, pourquoi est-ce mal, pourquoi ça ne marche plus ?
C’est comme s’amuser à démonter la mécanique de quelque chose et puis… l’envie de regarder les autres… de voir et de raconter comment les autres s’aiment ou se détestent.
Félina
Juste après Casque d’or, j’ai réalisé la série « Félina »avec le scénariste Victor Mora, que j’avais croisé à Pilote. « Félina » était au départ prévue pour le magazine Scop, un projet des éditions Vaillant. L’histoire s’est finalement retrouvée chez Glénat.
La série s’est ensuite poursuivie chez Dargaud qui en a profité pour rééditer le premier album. BD Enfer en a également publié un portfolio, « Les Voyages de Félina », en 2008.
Au-delà du côté roman-feuilleton, « Félina » est une série parodique. Victor avait beaucoup d’humour et a introduit ce personnage du narrateur qui raconte à la fois la vie de l’héroïne tout en l’affublant de tous les défauts du monde.
Dans « Félina », il y a une dimension érotique, mais aussi un côté “Catwoman“ ou manga avant l’heure, me semble-t-il.
Pour les premiers volumes, ce qu’on trouve déjà dans « Casque d’or »,je fais encore référence au Modern Style, avec des mises en pages sophistiquées, un procédé qui a tendance malgré tout à bloquer l’action.
J’ai ensuite abandonné ce procédé un peu systématique et j’ai épuré ma mise en pages.
« La Demoiselle de la Légion d’Honneur »
J’ai rencontré Christin à Angoulême, en 1975. Lors d’un des premiers festivals. Pierre m’a dit qu’il aimerait bien m’écrire une histoire. J’ai dû balbutier un “oui“ de principe, en me disant qu’il était dingue ce mec, que jamais je ne dessinerais une histoire de science-fiction comme il avait l’habitude d’en faire pour Mézières ou Bilal. Il avait en fait été approché par Jean-Paul Mougin, de Casterman, pour écrire une histoire dans (À suivre). Assez vite, Pierre m’a proposé le synopsis de « La Demoiselle de la Légion d’honneur ». Comme Mougin commençait à chipoter, n’arrivant pas vraiment à se décider, nous sommes allés voir Guy Vidal, alors rédacteur en chef de Pilote. Guy a accepté tout de suite.
À sa sortie, « La Demoiselle de la Légion d’honneur » a connu un succès immédiat, mais nous avons frôlé l’interdiction, l’intendante générale de la Maison de Saint-Denis ayant été très choquée de notre liberté de ton. Nous évoquions des caresses intimes, notre héroïne apparaissait dénudée dans deux vignettes et un personnage de l’O.A.S., rêvant d’insurrection, tenait des propos peu amènes sur le Général de Gaulle. Elle en avait référé au Maître de l’Ordre, le Général de Boissieux, gendre de De Gaulle. Georges Dargaud, lui-même décoré de la Légion d’honneur a été convoqué, et l’on a même menacé de lui retirer sa décoration. En conclusion, nous avons ôté les mots qui fâchaient.
J’ai continué la série des « Portraits souvenirs » avec Pierre Christin. Avec « La Diva et le Kriegsspiel » qui évoquait la destinée d’une cantatrice à l’époque l’Occupation et de la Collaboration. J’en ai éprouvé beaucoup de plaisir. Le début de l’histoire se passe à Blois. J’ai d’ailleurs retrouvé récemment une carte postale qui m’avait servi de documentation. En arrière-plan, on y voit le bas de l’escalier Denis Papin que j’ai mis en scène sur l’affiche de bd BOUM.
Avec « La Diva », c’était une des premières fois, en bande dessinée, que l’on mettait en scène les années 1930 et 1940. Du moins de cette manière-là, quotidienne, avec des personnages qui se débattent dans l’Histoire. J’ai une tendresse particulière pour Zulfitar de Mirandol, le mécène juif. Il peut sembler caricatural comme Dalio dans « La Grande Illusion », mais c’est voulu. Ce n’est évidemment pas par antisémitisme, on s’en doute, je l’ai dessiné avec tendresse, d’autant plus que durant la guerre, ma grand-mère a caché des enfants juifs chez elle.
Et puis, avec cette histoire, j’ai découvert l’univers de l’opéra, ce qui ne pouvait que me ravir !
Théâtre
À l’époque de « La Diva et le Kriegsspiel », Daniel Benoin était le directeur de la Comédie de Saint-Étienne, il m’a proposé de travailler avec lui sur une adaptation théâtrale d’« Autant en emporte le vent ». J’ai évidemment accepté !
Non seulement je connaissais le film par cœur, mais j’avais aussi lu le roman de Margaret Mitchell. J’ai relu ce dernier en surlignant tout ce qui avait trait aux vêtements dans cette Amérique sécessionniste.
J’ai réalisé une quantité folle de costumes, tant féminins que masculins, avec un cahier des charges très précis où tout devait être traité en teintes claires.
Par la suite, j’ai travaillé sur la pièce « Ce soir on raccourcit ». C’était une commande passée à Pierre Christin, en 1989, à l’occasion de la commémoration du Bicentenaire de la Révolution française.
Dans un épisode de « L’Agence Hardy », nous nous sommes d’ailleurs amusés, Pierre et moi, à faire un petit clin d’œil à cette comédie.
« La Voyageuse de la Petite Ceinture »
L’idée de « La Voyageuse de la Petite Ceinture » vient de Christin. À l’époque, il enseignait le journalisme à l’I.U.T. de Bordeaux et, au seuil des années quatre-vingt, il a vu apparaître de jeunes Maghrébines dans ses cours, des jeunes femmes de la deuxième génération qui en voulaient, qui désiraient jouer leur rôle dans la société. C’était l’émergence, à l’époque, de « Touche pas à mon pote », etc. Tout cela nourrit le personnage.
Et puis il y a ce parcours de la Petite Ceinture, cette voie ferrée désaffectée qui fait le tour de Paris. Avec Pierre, pour nos repérages, nous l’avions d’ailleurs empruntée, à l’exception d’une courte section près du pont de Bir-Hakeim qui était fermée. Tout ça n’est plus possible maintenant.
Dans la première planche de « La Voyageuse », on a une ambiance brumeuse de petit matin. J’avais du mal à la traiter en noir et blanc et c’est là que je me suis dit que je pourrais peut-être traiter cette histoire en couleurs directes.
« Charlotte et Nancy »
Avec « Charlotte et Nancy », j’avais envie de faire une histoire sur la mode. Christin, en tant que journaliste, de formation sociologique, a pris la chose très au sérieux et a imaginé deux femmes issues de deux milieux radicalement différents. L’une qui devient mannequin et l’autre qui rêve d’être styliste. Comme pour « La Voyageuse », nous avons mené une enquête : nous nous sommes rendus dans des agences pour voir comment tout ça fonctionnait, les books, etc. Nous avons visité le sentier où se trouvaient à l’époque les ateliers de confection. Il n’y avait pas encore les Chinois, c’était encore le quartier des tailleurs juifs, avec les Sri Lankais qui débarquaient les rouleaux de tissu.
Reste que c’est un album un peu bâtard, parce que la mode, ce n’est vraiment pas l’univers de Pierre. Je m’y suis moins éclatée qu’avec « La Diva ». J’aurais aimé parler un peu plus chiffons… Mais je me suis rattrapée par la suite avec « Jeune Fille en Dior ».
C’était l’époque où Flammarion se lançait dans la BD. Françoise Verny et Élisabeth Gille, ses directrices littéraires, venaient de se tailler un joli succès avec « Maus »d’Art Spiegelman. Elles ont eu envie de lancer une collection de romans graphiques, de même format, avec une pagination importante. « Le Tango du disparu » pouvait s’y inscrire. Côté cadre, l’histoire se situe dans l’Argentine des années 1980.
La dernière dictature militaire avec Videla est tombée. Côté forme, nous jouons sur un autre rapport entre le texte et les images. Pour les dessins, il y a une sorte de “bible“ ; certains sont redécoupés, réutilisés et recadrés. Nous sommes dans une structure romanesque avec des chapitres, etc. Techniquement, c’est un noir et blanc à l’encre de Chine, rehaussé au crayon noir et au lavis, afin de renforcer les contrastes.
Nous avons passé trois semaines à Buenos Aires ; pour parler du tango, ça s’imposait vraiment. Plus tard notre livre sera réédité, dans une version remaniée, chez Métaillié.
« Barcelonight »
Au moment des JO de Barcelone, en 1992, à l’occasion de la construction du village olympique, je me suis aperçue qu’une partie de cette ville allait disparaître — notamment toute la zone ouvrière du port, avec ses usines textiles, ses manufactures — et j’ai pris conscience que j’avais une véritable histoire avec cette ville, comme on a une histoire avec une personne.
C’est mon deuxième “pays“, j’y ai vécu douze ans. Je me suis dit que c’était le moment de raconter ma petite musique à moi, c’est comme ça qu’est né « Barcelonight »,avec une femme qui n’est pas moi, mais qui est française, des gens qui ressemblent plus ou moins à ceux que j’ai connus.
C’était une commande de Carlsen, un éditeur de Hambourg. « L’Avenir perdu » est signé par deux scénaristes : l’Allemand Andreas Knigge et le Norvégien Jón Sveinbjørn Jónsson, qui avaient tous les deux l’idée d’écrire une histoire autour du sida, à une époque où, en France, on n’en parlait pas encore beaucoup. Ils sont venus me voir à Barcelone où j’habitais encore. J’ai lu le scénario, je l’ai trouvé foisonnant, trop même, trop bavard. Après avoir accepté ce projet, j’ai beaucoup retravaillé l’histoire avec eux, beaucoup élagué. Le livre a été tout d’abord publié chez Carlsen, puis ses droits ont été achetés par les Humanoïdes associés.
C’est une belle histoire, très touchante, qui sonne très juste. Même si « L’Avenir perdu » tourne autour de la communauté homosexuelle masculine, on y découvre aussi un personnage féminin important, qui rééquilibre le propos. Il fallait montrer dans cet album que tout le monde peut être concerné par cette maladie. Cela n’allait pas forcément de soi à l’époque où ce livre a été fait.
« La Sultane blanche » scelle mon retour chez Dargaud. Et la poursuite de ma collaboration avec Pierre Christin. C’est un album qui a été assez long à réaliser, car il est en couleurs directes. Ce que j’aime dans cette histoire, c’est que tu ne sais jamais si la narratrice rêve ou a vraiment vécu toutes ces aventures. On reste dans le doute. L’Asie de la fin des années quarante, cette Asie coloniale que nous décrivons a-t-elle vraiment existé ?
« Paquebot »
Dans « Paquebot », Christin a utilisé une vraie trame policière, un genre que nous aimons beaucoup tous les deux. Quand je lui en ai parlé, nous nous sommes très vite entendus. Il nous fallait trouver un lieu clos dans lequel pouvait se dérouler toute l’histoire. Avec les différents ponts sur le bateau, les passerelles dans tous les sens du terme, les différentes classes sociales, etc., un paquebot pouvait être un endroit original. J’ai même dessiné un plan précis du bateau, une sorte d’“écorché“. Chose amusante, dans l’album, le lecteur découvre ce plan en même temps que les passagers. L’histoire est traitée là encore en couleurs directes. J’avoue qu’après ce long travail, j’avais besoin de passer à autre chose et pourquoi pas à une série ? C’est comme ça qu’est née « L’Agence Hardy ».
La bande dessinée consiste à essayer de mentir vrai. Tous les signes de réalisme sont importants car ils donnent de la densité à l’histoire. Peu importe, d’ailleurs, que les lecteurs les identifient ou non. Avant de me lancer dans le dessin du premier tome, je m’étais amusée à dessiner une maquette de l’Agence Hardy. Elle me permet de voir comment circulent les personnages dans l’espace, comme sur une scène de théâtre. Leurs vêtements sont aussi des signaux pour le lecteur. Je dispose de quelques “bibles“ dont je m’inspire, comme le catalogue de Manufrance. J’en possède trois : l’un date du début du XXe siècle, l’autre des années cinquante et le troisième de la fin des années soixante. Outre les vêtements utilitaires, on y trouve aussi les objets de la vie quotidienne, le mobilier, un moulin à café, une lampe de bureau, que sais-je encore.
On avait trop vu, dans les séries policières, un détective avec une secrétaire blonde un peu nunuche. J’avais envie de renverser les rôles, de casser les codes habituels : raconter les aventures d’une détective avec un secrétaire jeune et dévoué. Mais je ne décide pas, je propose. Quand nous travaillons sur un nouveau projet, nous organisons une sorte de “brainstorming“. « L’Agence Hardy »est née de là. C’est une série un peu intimiste. On y évoque aussi une époque disparue, le fantôme de la classe ouvrière, etc.
Quand Pierre et moi avons décidé du prénom de l’héroïne de « L’Agence Hardy »,je voulais un prénom qui évoque un esprit féminin et volontaire de cette époque. Édith me faisait penser à Édith Piaf. Pierre n’aime pas la chanteuse, mais une de ses amies porte ce prénom. Nous sommes tombés d’accord… En plus, dans mon esprit, Édith Hardy ressemblait d’une manière très fugitive à Gena Rowlands dans « Gloria » de John Casavettes : cette belle femme de quarante-cinq ans qui cavale sans cesse sur ses talons aiguilles. Son image m’est restée et je m’en suis nourrie. Chez Édith, il y a quelque chose de mystérieux, on ne sait pas trop d’où elle vient, qu’elle a été sa vie avant l’agence. J’aime bien aussi les débuts des histoires, avec ses cauchemars qui reviennent de manière récurrente. Cela lui donne une part d’ombre.
Victor, c’est un garçon sérieux et entreprenant, avec un petit côté Gaston Lagaffe. Il y a sans doute du Pierre Christin chez lui. Il aime le jazz, il vit ses premiers engagements politiques, il découvre le monde ouvrier. Je n’ai jamais vu de photo de Pierre à l’adolescence, mais il n’est pas impossible que Victor lui ressemble un peu !
« Marie-Antoinette, la reine fantôme »
Même si nous n’avons pas beaucoup collaboré ensemble, le scénariste Rodolphe et moi, nous nous sommes toujours très bien entendus.
Il m’a un jour prêté un petit livre, « Les Fantômes du Trianon », préfacé par Cocteau et contant l’aventure paranormale de deux Anglaises, miss Moberly et miss Jourdain, qui, par une belle journée d’août 1901, croisèrent la route ce qui semblait bien être le fantôme de la reine Marie-Antoinette.
Il y avait là matière à une belle histoire, même si le contenu du livre était finalement très léger, insuffisant en tout cas pour constituer la matière d’un album. D’où l’envie de créer un autre personnage qui interviendrait en parallèle dans les années trente. Cela nous permet de jouer sur les différentes époques.
Dargaud m’a proposé de faire un livre qui traite vraiment de la mode. J’aurais pu évoquer la carrière de Paul Poiret, un couturier du début du XXe siècle que j’apprécie beaucoup, mais qui ne parle pas à un grand public… à la différence de créateurs plus modernes comme Chanel, Saint-Laurent… et Dior. Chanel, je ne l’aime pas assez pour parler d’elle, c’est une peste, et Saint-Laurent avait déjà été abondamment traité. Me restait donc Dior. Ce cher et discret Mr Dior.
Je voulais raconter comment il a construit sa maison de couture. Il y a vraiment un avant et un après ce fameux défilé de 1947. Dior a révolutionné la silhouette féminine et créé le style “New Look“, une expression inventée par l’Américaine Carmel Snow d’Harper’s Bazaar, la journaliste de mode la plus influente de son temps.
J’ai tenu à montrer que la mode est une création collective. Au-delà de l’idée géniale d’un créateur, toute une équipe travaille dans l’ombre. La mode est tout sauf une activité frivole, car elle représente de gros enjeux économiques. Et un vêtement, quel qu’il soit, définit un individu.
Le livre se distingue par son format particulier album classique. Cela m’a offert une plus grande souplesse narrative. Pour les défilés, quand c’est nécessaire, j’ai pu faire des dessins en double page. Cela donne un plus grand élan à certaines illustrations, traduit mieux le côté “show“ de ce type de défilé.
« Jeune fille en Dior » a par ailleurs été décliné en plusieurs langues… C’est amusant de découvrir son ouvrage en chinois, en coréen, en anglais ou en italien. En attendant la version en espagnol prévue pour l’année prochaine.
Edgar P. Jacobs vu par Annie Goetzinger
En 1981, Annie Goetzinger rencontre Edgar P. Jacobs à l’issue d’une émission télévisée.
Je venais de finir « La Diva et le Kriegsspiel »,avec Pierre Christin. Je n’étais pas très BD belge, ni ligne claire. Jacobs était très “old fashion“, d’une exquise politesse. On a parlé d’opéra et il m’a dédicacé un exemplaire de « La Marque jaune » au crayon bleu.
Maquettes
Cela pourrait s’appeler « Les Dimanches pluvieux ». Lorsque je ne dessine pas, j’aime bien m’aérer la tête et construire par exemple des petits objets en volume. Pour « Les Papillons », c’était une envie de modelage.
Pour l’« Hommage à Keleck », c’était une petite poupée de porcelaine dont on faisait des décors de lampes dans les années vingt. J’avais cette petite figurine et un jour elle est tombée et sa tête s’est cassée. Elle était tellement jolie que j’avais du mal à la jeter. J’ai pensé à Keleck, cette grande illustratrice et amie, hélas décédée, à son éternel maquillage, gothique avant l’heure, et j’ai décidé de lui rendre hommage.
Illustrations
Les illustrations de presse, j’en ai fait depuis très longtemps. Pour France-Soir tout d’abord, à l’époque où Jacques Lob et Georges Pichard publiaient « Blanche Épiphanie ».
À l’époque des Jeux olympiques de Barcelone, j’ai illustré une chronique de cette ville, publiée en France et en Norvège dans L’Humanité et dans Klassekampen. Assortis de textes de Montserrat Roig, ces dessins ont été ensuite repris dans « Mémoires de Barcelone », un ouvrage édité par La Sirène.
Pour L’Humanité, j’ai également dessiné un portrait de Jaurès au pastel… Qui a été finalement refusé, car jugé peut-être trop “désespérant“ ? Il a néanmoins été tiré sous la forme d’une affichette vendue à la Fête de l’Huma.
Avec différents journalistes, j’ai travaillé dans les années 1990 dans Le Monde,pour « Heures locales », un cahier consacré aux villes moyennes. Dont la ville de Blois entre autre.
Et puis il y a La Croix. Une illustration hebdomadaire pour « L’humeur des jours », une chronique de Bruno Frappat articulée autour de thèmes principaux, sociologiques, politiques, culturels ou religieux, parfois entremêlés. J’en ai fait plus de six cents. Un certain nombre a été réuni dans « Le Regard des jours », coédité par La Croix et Dargaud.
Avec Jón Sveinbjørn Jónsson, j’ai également illustré « Embla » pour une éditrice norvégienne. L’idée, pas joyeuse, tourne autour de la mort d’un enfant.
Sa maman lui construit une maquette de bateau. Le livre, paru chez Tiden, inédit en français, se conclut symboliquement sur les départs du voilier et du petit garçon.
Quand j’ai fait « Ladies in Love », j’ai pensé à toutes ces merveilleuses illustrations faites par Vargas ou Brenot. Il n’y a pas beaucoup de femmes qui ont dessiné des pin-up. C’est plutôt un truc de mecs. Je ne voulais pas tomber dans la vulgarité et dessiner des “bimbos“. Pour « Judy Garland », je me suis beaucoup documentée sur cette actrice.
« Hommage à Hopper » est une commande de Claudine Giraud pour la galerie Stardom. J’ai toujours été fasciné par Hopper qui est un artiste extrêmement surprenant avec ses cadrages, ses motifs, ses ambiances. Tu as l’impression qu’il va se passer quelque chose ou qu’il s’est passé quelque chose, mais on n’est pas dans le fait divers. C’est mystérieux. Il y a aussi le côté un peu voyeur de la vitrine. L’objet inaccessible.
Enfant, j’ai passé pas mal de vacances dans la région blésoise où habitait la famille de ma grand-mère maternelle. J’ai le souvenir d’avoir visité les châteaux de la Loire, mais aussi d’avoir pris la pose dans les escaliers Denis Papin. Je devais avoir dans les quatre ans. J’étais d’ailleurs morte de trouille en regardant la perspective jusqu’à la Loire. Quand on m’a proposé de faire l’affiche du festival BD Boum, j’ai repensé à cette scène.
Patrick GAUMER
Recherches iconographiques et mise en pages : Gilles Ratier
Pour en savoir encore plus sur la carrière d’Annie Goetzinger, voir : Annie Goetzinger : des premiers pas déjà tout en élégance….
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