C’est avec exigence qu’Emmanuel Moynot construit, depuis une quarantaine d’années, une riche carrière où se côtoient des albums classiques (sa reprise de « Nestor Burma », par exemple) et des one-shots aux motivations plus ambitieuses, tel le présent album. Un polar noir et cynique où il établit avec force détails le parallélisme entre le quotidien des babouins africains et le comportement parfois violent de certains individus de notre monde contemporain.
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Avec son trait élégant et précis, l’auteur de l’excellent « Stella » chez le même éditeur — ou de la trilogie « Amorostasia » publiée par Futuropolis — (1) bouscule, dans son nouveau roman graphique, le train-train quotidien d’un comptable très cartésien, à la vie bien rangée. Étant tombé, par hasard, sur une place de spectacle pour les ballets russes de Serge Diaghilev en représentation au Théâtre du Châtelet, cet homme qui trouve, d’habitude, son bonheur dans l’arithmétique et les probabilités, se laisse aller à profiter de l’opportunité : une décision qui, après moult rebondissements, va changer sa destinée.
Nous sommes en 1909, à Paris, sur le boulevard Haussmann. Victor Nimas y a son petit bureau, aligné au milieu de ceux des nombreux autres employés facturiers de la Société académique de comptabilité. Ne le plaignons pas, car ce travailleur aime les chiffres : ils le rassurent dans le monde extérieur en perpétuel changement. Ayant marché, par inadvertance, sur une place de spectacle — divertissement qui, d’habitude, ne lui inspire rien d’autre que de l’indifférence —, il décide de se laisser tenter par les chorégraphies et les artifices de la mise en scène.Ces dernières vont d’ailleurs le ravir et l’enchanter, d’autant plus que notre homme, qui n’a jamais assisté à un ballet jusqu’à lors, est ensorcelé par le regard captivant de l’une des belles danseuses de la troupe : Tania Volkova. À la suite de la rencontre avec cette femme qu’il n’aurait jamais dû croiser, notre ordonnateur routinier va être embarqué dans un tourbillon d’imprévus qui iront jusqu’à perturber ses logiques fondements sur la vie.Réflexion sur le hasard et le destin — qui est soi-disant tout tracé pour les individus, mais méfions-nous quand même des a priori ! —, cette œuvre (bien plus riche qu’une lecture trop rapide pourrait nous faire croire) est également l’étonnant récit d’une histoire d’amour aussi sensible que complexe, illustrée et développée par un Cyril Bonin en pleine maturité narrative.Dans les décors fastueux d’une Belle Époque fantasmée, l’artiste s’essaye, par ailleurs, à un style graphique plus décontracté – et peut-être plus caricatural – qu’à l’habitude, mais qui reste toujours très raffiné : tant dans le trait que dans les couleurs.
Certaines de ses recherches, elles aussi remplies de doutes et d’incertitudes (à l’instar de son histoire aux multiples niveaux de lecture où le hasard se révèle être bien plus qu’une simple probabilité), sont notamment rassemblées dans un cahier de quatre pages en fin d’album.
Gilles RATIER
(1) Sur Cyril Bonin, voir par exemple sur BDzoom.com : « Stella » : la fin d’un roman… le début d’une histoire, mais surtout une très belle BD de Cyril Bonin sur la création, l’identité, et la place de l’auteur…, « Presque maintenant » par Cyril Bonin, « La Délicatesse » par Cyril Bonin [d’après David Foenkinos], « Fog : intégrale » T1 par Cyril Bonin et Roger Seiter, « The Time Before » par Cyril Bonin, « Amorostasia T2 : Pour toujours… » par Cyril Bonin, « Amorostasia » par Cyril Bonin, « L’Homme qui n’existait pas » par Cyril Bonin, « La Belle Image » par Cyril Bonin, Chambre obscure T1…
« Comme par hasard » par Cyril Bonin
Éditions Vents d’Ouest (18 €) — EAN : 978-2-7493-0937-8