Interview de Laurent Astier : un final à la hauteur… de la Maison-Blanche !

La longue vengeance d’Emily trouve enfin son aboutissement, après les étapes — très mouvementées — d’un long parcours (au long de cinq tomes) qui tient à la fois de la fuite et de la course de fond (1). Rappelons que, élevée par son oncle en Arizona, la jeune Emily s’est trouvée très tôt sur la route, jusqu’à envisager de se marier, puis s’efforcer de venger son futur époux assassiné. En parallèle, elle est également à la recherche de sa mère et de son père, qui l’ont abandonnée très jeune dans des circonstances mystérieuses. Au long des quatre tomes précédents, Emily a éliminé quatre personnalités qui s’étaient avérées responsables de crimes. Et, après le Colorado, l’Ohio et le Texas, poursuivie par l’agence Pinkerton, la voici à New York. William McKinley, 25e président des États-Unis, est sa prochaine cible. Mais bien des événements vont encore se dérouler, et d’autres flashbacks apparaître qui éclaireront le passé. Un final à la hauteur du cycle, réussi d’un bout à l’autre !

Dans le tome précédent, Stanley Whitman (l’architecte avec lequel Emily commençait une histoire d’amour) mourrait accidentellement, non sans lui avoir révélé que William Ward — l’homme qu’elle recherche — est devenu président des États-Unis, sous une autre identité.

Se faisant passer pour journaliste, Emily va se rendre à la Maison-Blanche. Ward-McKinley s’attend à sa visite, et c’est le temps des explications… lesquelles déstabilisent la jeune femme. Le président — en flashback — décrit sa jeunesse laborieuse, sa rencontre avec une prostituée — dont nous ne dirons rien de plus ici ! Il raconte aussi ce qu’il est advenu du véritable président McKinley et comment il en est arrivé, lui, à prendre sa place… Entrent alors, dans le Bureau ovale, l’oncle d’Emily, puis les deux Pinkerton. L’intrigue se corse ! Et — pour le président comme pour Emily — les dangers sont loin d’être écartés ! Malgré des festivités qui battent leur plein…

Verso du tome 5.

Avec cet album, où ne faiblissent ni l’intensité de l’intrigue ni l’intérêt du lecteur, le cycle se termine en beauté et — au sens propre — en feu d’artifice… Les flashbacks éclairent toujours judicieusement le passé des personnages et explicitent leurs ressorts.

Plus que pour tout autre tome du cycle, un soin particulier a été apporté aux décors : places et bâtiments de New York et de Washington en 1901. Et de jour comme dans les nombreuses scènes nocturnes, grâce à la diversité des angles de vues, le rendu est magnifique.

Incontestablement, le dessinateur-scénariste est monté de plusieurs degrés avec cette série puissante, comme l’atteste sa présence — au côté de pointures du western en BD — dans l’album collectif « Indians ! » paru en novembre dernier (2). Parmi les remerciements, Laurent Astier a d’ailleurs tenu à rendre hommage aux maîtres du western en BD (le tandem Giraud-Charlier, Hermann, Rossi ou encore TaDuc) et au cinéma (de John Ford à Sergio Leone en passant par Sam Peckinpah), une conclusion de circonstance… Les albums sont en effet parsemés de clins d’œil, comme autant de signes de reconnaissance.

Laurent Astier.

Laurent Astier a bien voulu accepter de répondre à quelques questions pour parachever la conclusion du cycle : merci à lui pour cela, et pour ce parcours de quatre années.

Interview de Laurent Astier

BDzoom.com : Tout d’abord, dites-nous ce qui vous a poussé à ouvrir un cycle seul (scénario et dessin), de genre western. Et pourquoi l’éditeur Rue de Sèvres ?

J’étais souvent auteur seul précédemment, sauf avec Xavier Dorison pour l’album « Comment faire fortune en juin 40 ? » : voir « Comment faire fortune en juin 40 » par Laurent Astier, Xavier Dorison et Fabien Nury. Emily est apparue dès 2012, dans un dessin personnel rendant hommage à Claudia Cardinale dans « Il était une fois dans l’Ouest ». Mais c’était sans but précis, je faisais des essais, des recherches. Je trouvais que, dans le film, elle jouait un rôle un peu second, alors que tout tournait autour d’elle. Donc, j’avais voulu qu’elle prenne de l’épaisseur, et « La Venin » vient de ce personnage. Avec la description de son passé mêlé à son présent, le personnage s’anime. J’ai choisi une période assez tardive du western, entre 1885 et le début des années 1900, époque charnière et assez inexplorée. Parfois, il faut quatre ou cinq ans pour qu’un projet devienne mature, se cristallise autour d’un besoin, d’un écho en moi… Je me suis documenté, j’ai acheté un livre américain sur l’histoire des États-Unis ["Une histoire populaire des États-Unis" par Howard Zinn], il y avait du grain à moudre… Rue de Sèvres a été le premier éditeur à accepter, et ils m’ont dit qu’ils attendaient de recevoir un projet de ma part… Ils ont une ligne éditoriale, ils suivent bien leurs auteurs et leurs projets.

Tirage noir et blanc du tome 1.

BDzoom.com : Les cinq albums sont tous structurés par un mélange passé-présent, où des flashbacks relativement courts éclairent progressivement la jeunesse d’Emily et de ses parents : une influence du cinéma ?

Le cinéma, oui, en partie. Mais j’ai cette manière de raconter, comme dans la série « Cellule Poison » : un récit éclaté… Je me suis inspiré du prologue d’« Il était une fois dans l’Ouest » (la gare, l’arrivée de Cardinale…), de John Ford aussi, évidemment, et Sam Peckinpah. Ou encore du « Soldat bleu », de Ralph Nelson, pour le déchaînement de violence. En clin d’œil, il y a aussi Blueberry aperçu avec un outlaw dans un saloon, et puis des visions de soleil couchant qui font partie du mythe du western, qui réveillent des souvenirs de films, de BD…

BDzoom.com : Quels ont été les difficultés ou les défis pour réussir ce cycle ? On mesure déjà l’ampleur de la recherche et le souci d’authenticité…

En songeant aux grands maîtres du western en BD, j’ai failli passer outre et confier le dessin à un autre. Mais l’un de mes amis m’a conseillé de dessiner moi-même. Le premier pari était de bien dessiner les chevaux : c’est incontournable ! Pour faire revivre cette période, j’ai effectué des recherches iconographiques. Pour le tome 4, avec le New York d’une époque révolue, ses bâtiments en construction ou rasés depuis, j’ai utilisé des photos disponibles sur internet ou des livres. Heureusement, la photographie existait déjà et l’on a conservé beaucoup de traces. C’était bien pratique pour le casino ou le théâtre, par exemple. Certains de mes personnages ont réellement existé, comme Charlie Siringo et Tom Horn, de l’agence Pinkerton. À la même époque, par intervalles, ils poursuivaient Butch Cassidy et le Kid ! Je me suis amusé à les imaginer poursuivre Emily — la Venin — à d’autres moments.

Laurent Astier au travail.

Dossier de presse 2015.

BDzoom.com : Quel est votre ressenti par rapport au renouveau du western en BD — après la fin de « Blueberry » et d’une certaine génération —, avec principalement « Bouncer » et « Undertaker » ? Et votre participation au collectif « Indians ! » vous a-t-elle officiellement intégré au club fermé des dessinateurs qui excellent dans ce genre ? On imagine que vous y voyez une belle reconnaissance…

Pendant quelques années effectivement — disons à partir de 2005 —, le western avait quasiment disparu : c’était devenu un genre délaissé. Le succès de « Bouncer » et d’« Undertaker l’a relancé. Il est encore possible de faire des choses nouvelles de qualité, mais on n’égalera jamais les BD westerns passées…

Il était prévu que je n’intègre la suite de ce collectif « Go West, Young Man » et « Indians ! » qu’au tome 3. Mais François Boucq n’a pas pu participer au tome 2 et j’ai été sollicité en dernière minute. J’ai accepté immédiatement, et j’ai commencé à dessiner avant de signer le contrat !

Couverture non retenue pour le tome 1.

Tirage noir et blanc du tome 3.

BDzoom.com : Ce tome 5 devait nécessairement être plus long que les autres, ou bien vous n’avez pas eu le choix pour bien conclure ?

Mon storyboard initial était volumineux, un peu trop selon mon éditeur : trop de flashbacks, trop de scènes… Il fallait rester dans la même structure et la même dynamique que dans les tomes précédents. L’album fait quand même 62 planches, au lieu de 56, pour boucler correctement le cycle avec le même rythme et la même manière de raconter. Le surplus — huit planches de “scènes coupées” — a donc été repris dans l’édition spéciale de la Librairie Bulle, avec des pages de carnet, des projets de scènes…

BDzoom.com : Après ce bon rythme d’un album par an ou presque (et souvent sorti en janvier, comme cette année), avez-vous un nouveau projet ?

J’ai un projet de récit qui remonte à dix ans : un projet personnel, concernant l’un de mes meilleurs amis, qui est décédé depuis. C’est une autofiction [une fiction à base autobiographique], avec des éléments vécus et de la distance : un filtre nécessaire. Ce sera une sorte de roman graphique, de 200 ou 300 pages. Je suis conscient qu’il s’agit d’un changement radical, mais je commence à en avoir l’habitude depuis mes débuts.

Patrick BOUSTER

Couverture de la version de luxe proposée par la librairie Bulle.

Édition anniversaire du tome 1 (2023).

(1)  Voir les chroniques des quatre tomes précédents :

-       Laurent Astier investit l’ouest sauvage…

-       Emily, toi La Venin, attention aux autres serpents, autrement plus dangereux…

-       L’ombre des derricks et du Ku Klux Klan…

-       À New York, Emily pique et tonne dans le tome 4 de « La Venin » !.

(2) Album chroniqué dans BDzoom : « Indians ! » : une chronique de l’Ouest amérindien !.

« La Venin T5 : Soleil de plomb » par Laurent Astier

Éditions Rue de Sèvres (15 €) — EAN : 978-2-36981-592-1

Parution 18 janvier 2023

Galerie

3 réponses à Interview de Laurent Astier : un final à la hauteur… de la Maison-Blanche !

  1. Kroustilyion dit :

    Très très beau dessin !

    • PATYDOC dit :

      Qui l’eût cru qu’il dessinât si bien ? Bravo à lui ! (quelques fautes non corrigées malheureusement, j’ai l’impression qu’il n ‘y a plus de correcteurs chez ces éditeurs de BD) !

  2. Patrick BOUSTER dit :

    Oui, depuis le premier, qui avait bien lancé l’ensemble, tant pour le public que pour les professionnels et les commentateurs, le dessin de très bonne tenue est conforme aux tomes précédents. En remarquant que les décors sont plus fouillés et les ambiances de plus en plus maitrisées.
    En s’arrêtant au nombre de 5, les albums évitent une usure ou une exploitation/extension jugée artificielle.
    A noter aussi qu’Astier a réalisé la couverture du magazine « Zoo » n° 90 de janvier 2023, avec des personnages de Rue Sèvres (dont La Venin), pour les 10 ans de l’éditeur. Voir son site : https://zoolemag.com/zoo-le-mag et n° gratuit disponible en points de vente habituels. Astier est même indiqué « rédacteur-en-chef », ayant signé les dessins d’accompagnement (en nb) de presque chaque double page.
    Enfin, ce tome 5 est l’occasion d’au moins 2 posters (peut-être plus), dont un avec dessin inédit, et d’un PLV pour les libraires, à coté d’une autre opération de communication de l’éditeur sur son catalogue, qui utilise naturellement La Venin comme titre accrocheur.
    Belle réussite d’un label jeune et « indépendant ».

    Nota. Déclaration d’intérêt : je n’ai pas de lien juridique, financier ou amical/familial avec Rue de Sèvres ou son auteur, et, sauf service de presse pour l’album, je n’ai pas reçu de cadeau de sa part. ; ))

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