Chabouté fait parler les œuvres du musée d’Orsay : séquence émotion !

Dans la lignée de la série éditée par Futuropolis avec Le Louvre — et qui avait déjà initié quelques bandes dessinées consacrées au musée d’Orsay —, le label Vents d’Ouest du groupe Glénat publie ce nouveau roman graphique de Chabouté qui propose une étonnante visite des riches collections réunies dans ces galeries pluridisciplinaires situées dans l’ancienne gare d’Orsay, le long de la rive gauche de la Seine. Entre humour et poésie, l’ouvrage, qui accorde 186 planches au quotidien de l’établissement, se révèle aussi être une réflexion sur notre rapport à l’art… Et c’est alors que, grâce à la maîtrise des noirs profonds et à l’efficacité de la narration de l’auteur, la magie opère !

Devenu l’un des maîtres du noir et blanc, à l’instar d’un Hugo Pratt, d’un Didier Comès ou d’un Alberto Breccia, Christophe Chabouté démarre son propos avec pas moins de 44 pages totalement muettes (mais au dessin tellement parlant !), où les visages des visiteurs — admiratifs ou perplexes — se posent sur les quasis 4 000 mythiques peintures ou sculptures impressionnistes et post impressionnistes de ce musée national où se pressent, chaque année pas loin de trois millions de personnes. 

Passé ce prologue tout à fait fascinant, les touristes commencent à échanger… et fusent alors des dialogues à l’humour parfois aussi noir que le trait de l’auteur de « Pleine Lune », « Purgatoire », « Henri Désiré Landru », « Tout seul », « Yellow Cab »… ou adaptateur de « Construire un feu » et de « Moby Dick » (1) : : « Pourriez-vous m’indiquer où se trouve “La Joconde” ? » demande un badaud à un gardien blasé qui répond nonchalamment « Au Louvre, monsieur ! », ou encore « Ça te plaît, papy, d’écouter les tableaux ? » questionne une petite fille à son grand-père aveugle qui lui réplique « Beaucoup ma chérie, beaucoup ! »

Or, une fois les portes du musée d’Orsay fermées, lorsque la nuit tombe, les œuvres s’animent, quittant la pose ou descendant de leur socle pour se détendre, et elles discutent entre elles : chacune commentant ce qu’elle a vu et entendu au cours de la journée — avec sensibilité, désinvolture ou cynisme —, tout en portant un regard pertinent sur le genre humain. Ainsi, les bustes de Daumier, véritables commères, ironisent-ils sur leurs petits camarades ou sur les amourettes des gardiens, « L’Olympia » de Manet déserte-t-elle sa couche, « L’Ours blanc » de Pompon opte-t-il de roupiller ailleurs que sur son piédestal et la statue d’Héraklès archer coure-t-elle très vite aux toilettes, tandis que « Les Raboteurs de parquet » de Caillebotte font une pause ! D’autres chefs-d’œuvre préfèrent, quant à eux, s’asseoir derrière la grande horloge qui surplombe le musée, pour observer l’absurdité de notre monde à travers les vitraux…

Nous transposer à la place des œuvres d’art et nous retranscrire leurs pensées les plus intimes aurait pu être un exercice de style assez vain, mais ce n’est absolument pas le cas : bien au contraire… La balade diurne et nocturne — ponctuée d’humour léger et remplie de charmes graphiques — à laquelle Chabouté nous invite nous convainc dès les premières pages, et ceci jusqu’aux dernières où une petite fille s’exclame « Tout à l’heure, une dame dans un tableau m’a fait un clin d’œil… » et sa mère de répliquer : « Oui, mon lapin… Elles font souvent ça, les dames dans les tableaux. »

Gilles RATIER

(1) Sur Christophe Chabouté, voir sur BDzoom.com : Être taxi driver à New York : une fulgurante relecture de l’expérience de Benoît Cohen par Christophe Chabouté !« Le Crime parfait » : 11 récits glaçants…Un superbe artbook pour Chabouté…« Moby Dick : Livre premier » par Christophe Chabouté« Un peu de bois et d’acier »« Les Princesses aussi vont au petit coin »Fables amères : de tout petits riensTerre-NeuvasTout seulPurgatoire livre 1

« Musée » par Christophe Chabouté

Éditions Vents d’Ouest (23 €) — EAN : 978-2-7493-0777-4

Parution 19 avril 2023

Galerie

2 réponses à Chabouté fait parler les œuvres du musée d’Orsay : séquence émotion !

  1. BARRE dit :

    Une fois au Louvre, la Joconde m’a fait un clin d’œil mais je ne parle jamais de cet incident de peur de passer pour un dingue

  2. BARRE dit :

    Plus sérieusement, Chabouté est définitivement l’homme du noir et blanc.
    Cela sied parfaitement à ses œuvres.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>