« Inspecteur Balto » : un Maigret de la diagonale du vide…

Récit contemporain ancré dans une — banale — France périurbaine, « Inspecteur Balto : Manufrance, bichons et camgirls » se présente comme une enquête policière, portée par un nouveau duo d’auteurs : le dessinateur Damien Geffroy et le scénariste Aurélien Ducoudray. Une investigation sociale fleurant bon le réalisme poétique de l’entre-deux-guerres : « Atmosphère, atmosphère… »

Si les auteurs ne jouent pas dans le registre spectaculaire — vu le classicisme de leur mise en cadre et la sagesse de leur caméra —, il émane d’emblée une indéniable sympathie de ce dessin semi-réaliste, modeste et généreux à la fois, et dont la bonhomie des trognes expressives n’est pas la moindre des qualités. D’évidence, le séduisant talent graphique de Damien Geffroy s’avère des plus prometteurs. D’une finesse hésitante, l’encrage mériterait peut-être de s’affirmer par une graisse plus marquée, par une rondeur appuyée et des typographies numériques émaillant les devantures des commerces.

Quid de l’histoire ? Centré sur le personnage de Balto — un inspecteur de police nouvellement à la retraite auquel s’adressent les deux amies d’une femme mystérieusement disparue —, ce récit naturaliste dépeint un Hexagone des plus banals, voire trivial, peuplé de gens ordinaires et de marginaux. Peuplée de digressions domestiques comme d’ingénieux rebondissements, l’enquête menée par Balto autour de la disparition de cette camgirl donne l’occasion d’arpenter desdécors urbains fort réalistes et d’y croiser une foule de seconds rôles issus d’une France populaire : telle la jeune hackeuse écolo qui seconde un Balto étranger au monde numérique, tel le pote serrurier, pas rangé des voitures.

La longueur de cette histoire, qui compte 62 planches, permet de donner la part belle aux qualités de dialoguiste de Ducoudray, comme un écho à un certain cinéma réaliste poétique. Fluides et bavards, mais percutants au moment opportun, ses dialogues sont émaillés de saillies ironiques. Cette intrigue — maîtrisée — n’est-elle pas, au fond, l’opportunité, pour ce dialoguiste de talent, de donner vie à l’écosystème entourant Balto ?

L’univers ordinaire d’une France périphérique — en l’espèce celui de la besogneuse Saint-Étienne — s’avère in finejoyeusement décalé au regard d’une production BD ordinaire où l’emphase est souvent le maître-mot. Ici, nulle grandiloquence. Tout est mesuré, discret et humble. Voire déphasé : comme l’ex-inspecteur Balto aux méthodes de flic à l’ancienne. Même la couleur, appliquée de manière traditionnelle, s’affiche surannée. Ainsi, le choix de la couverture — la silhouette de dos du protagoniste face à son terrain de jeu urbain — apparaît judicieux : le héros, c’est autant le contexte.

Cet album ravira notamment les lecteurs qui appréciaient jadis d’attachantes séries telles que « Condor » de Jean-Pierre Autheman et Dominique Rousseau (1). « Inspecteur Balto » est un de ces albums sans esbroufe dont le charme opère dès la première lecture. Au fond, n’est-ce pas le propre d’une bonne BD ? « Juste une dernière chose », comme disait l’inspecteur Columbo : annoncée en dernière planche, l’évasion de l’épouse de Balto laisse-t-elle augurer d’un nouvel opus ? Patron, une autre tournée !

Jean-François MINIAC 

(1)  Voir : « Condor » renaît en noir et blanc et en intégrale !.

« Inspecteur Balto : Manufrance, bichons et camgirls » par Damien Geffroy et Aurélien Ducoudray

Éditions Grand Angle (16, 90 €) — EAN : 978-2-8189-9764-2

Parution 28 juin 2023

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