On ne peut que saluer les qualités narratives et graphiques des « 5 Terres » : une série désormais culte. Les auteurs de la série se sont donnés les moyens de leurs grandes ambitions. Depuis 2019, l’intrigue complexe se développe sur cinq cycles de six albums chacun, portée par le magnifique dessin de Jérôme Lereculey. Entre le deuxième cycle qui vient de s’achever et le troisième qui débutera cet été, un récit complet vient s’intercaler : un spin-off intrigant autour du personnage emblématique du premier cycle : This Delliana, alias Demeus Lor.
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« Strangers » célèbre ses 20 ans !
Si on vous posait la question « Quelle est la BD française qui comprend plus de 60 albums, traduite aux États-Unis, et qui célèbre cette année ses 20 ans d’existence ? », il y a de fortes chances pour — qu’après avoir éliminé nos « Astérix » ou « Lucky Luke » —, vous déclariez forfait. La réponse n’est, en effet, pas évidente, car sortant totalement des sempiternels sentiers battus. Il s’agit de « Strangers » (créée par le scénariste Jean-Marc Lofficier), et gageons que de vous avoir donné cette réponse ne doit pas vous en dire beaucoup plus sur le sujet, vu la relative confidentialité de cette série… alors que le cinquième album de la saison 6 vient de sortir chez Hexagon Comics !
« Strangers » #6.5 : dessins d'Eduardo Garcia.
« Strangers » a démarré en 2004 sous la houlette de Thierry Mornet, aujourd’hui bien connu de tous les bédéistes amateurs de comics pour son travail acharné au sein des éditions Delcourt dans le but de faire connaître les nouveaux chefs-d’œuvre de la BD américaine.
À l’époque rédacteur-en-chef chez SEMIC (éditeur de petits formats qui disparut l’année suivante), Mornet avait, comme un chant du cygne, lancé cette ultime série qui devait rassembler divers héros des anciennes éditions Lug : tels Homicron (extrait de Futura), Starlock (dans Mustang), Jayde (dans Spécial-Rodéo), Tanka (extrait de Nevada)… tous initialement publiés dans les années 1960 ou 1970.
Pour cette occasion, il avait confié le projet au scénariste Jean-Marc Lofficier — lequel avait travaillé pour Marvel (sur « Doctor Strange ») et DC (sur « Teen Titans ») aux USA et qui venait d’écrire des suites à « Kabur » et « Wampus » : deux séries cultissimes de Lug pour SEMIC — et aux dessinateurs espagnols Manuel Garcia, Fernando Blanco et Javier Pima.
« Strangers » #1.1 par Manuel Garcia.
S’inspirant du modèle, alors encore récent et introduit dans les séries télé américaines, consistant à regrouper les épisodes en « saisons » avec un Big Bad, Lofficier produisit une première « saison » de huit numéros au format des comics américains, dont six seulement furent publiés avant la disparition de l’éditeur, mais qui furent immédiatement traduits et réédités en langue anglaise chez Image Comics, aux côtés de « Spawn » ou « Witchblade ».
Six ans plus tard, en 2010, Lofficier qui, entretemps, avait récupéré les droits des personnages en fondant l’association Hexagon Comics, s’associait avec Anthony Dugenest et Wanga Comics pour rééditer une version complète de la saison 1 et entamer une saison 2 : toujours au format des comics américains.
Elle devait comprendre dix numéros, mais huit seulement furent alors publiés : le succès n’étant pas au rendez-vous.
« Strangers » #3.17 par Roberto Castro.
Nous avons demandé à Jean-Marc Lofficier comment s’effectua alors la transition vers le label Hexagon Comics : « Anthony et moi sommes arrivés à la conclusion que le format comics US n’était pas rentable. J’ai alors décidé de reprendre en main, seul, l’édition de la série “Strangers”, sous la forme d’albums de 48 pages en noir et blanc. Nous avons un noyau dur de fidèles lecteurs, et j’ai parié sur le fait que, pour le même prix, ils préféreraient lire 44 pages en noir et blanc que 22 en couleurs. »
Le premier numéro de la saison 3, désormais publiée sous le nouveau label, fut publié en 2013. Il bouclait l’histoire de la saison 2, et fut suivi immédiatement par 17 autres numéros, mensuels, formant une vaste saga qui se concluait à l’époque d’Atlantis.
« On me demande parfois si “Strangers” est une BD de super-héros », note Lofficier. « Je dis que c’est plutôt un BD de science-fiction. Elle est plus influencée par “Perry Rhodan”, par exemple, que par “The Avengers”. Il n’y a pas vraiment d’autres titres qui lui soient comparables. »
« Strangers » #4.2 par Manuel Martin Peniche.
Une saison 4, composée de huit albums, fut publiée en 2016, suivie d’une saison 5, de 14 albums, en 2018.
Pour réaliser ces derniers, Lofficier s’est entouré d’une équipe de dessinateurs mexicains ou sud-américains.
Parmi ces derniers, nous citerons Alfredo Macall, Manuel Martin Peniche, Roberto Castro, Eduardo Garcia, Gabriel Mayorga, Manuel Loayza et José Luis Ruiz (disparu en 2023).
« J’ai beaucoup de chance d’avoir accès à de tels talents », confirme Lofficier. « Plusieurs ont depuis “percé” aux États-Unis, mais continuent à collaborer à ma petite entreprise, pour le fun, je suppose, car ce n’est certainement pas le montant de nos piges qui seraient suffisant à les retenir. »
« Strangers » 4.3 par José Luis Ruiz.
« Strangers » continue d’être publié aux États-Unis, avec un certain retard : l’édition américaine vient seulement d’entamer la saison 4. « Nous avons un public loyal aux USA », explique Lofficier. « Paradoxalement, à peu près égal à notre lectorat en France. »
À la fin de l’année dernière, Lofficier a lancé la saison 6, qui comprendra, selon lui, 20 albums, dont cinq sont déjà paru. Le sujet en est une guerre à travers l’espace et le temps conduite par de mystérieuses entités extra-terrestres surnommées les Cathédrales.
De façon assez ambitieuse, la narration est présentée dans un ordre chronologique différent de celui du séquentiel des évènements contés. « Je me suis inspiré des techniques de la “nouvelle vague” de Robbe-Grillet et Resnais », commente Lofficier, « aussi employées par l’auteur anglais Alan Ayckbourn. C’est une expérience intéressante qui demande un gros effort de planning, avant même de se mettre à l’écriture. »
« Strangers » 5.11 par Gabriel Mayorga.
« Strangers » #5.12 par Alfredo Macall.
Y a-t-il un point d’entrée facile pour de nouveaux lecteurs dans cette vaste saga ? « Je fais un effort pour que chaque saison puisse être lue indépendamment des autres », répond Lofficier. Cela étant, je mentirais si je disais que n’importe qui peut commencer n’importe où. L’univers Hexagon — celui des anciennes éditions Lug, donc — a une ancienneté et une diversité qui sont bien égales à celles de Marvel ou DC. 
Une certaine familiarité avec nos personnages est quand même nécessaire. Celle-ci s’acquiert vite en lisant nos publications, mais un effort minimum pour vouloir rentrer dedans est quand même nécessaire.
Quel est le futur pour « Strangers » ? « Une fois la saison 6 bouclée, au printemps prochain, je vais faire une pause », dit Lofficier. « Bien sûr, j’ai des idées pour la suite, mais si “Strangers” était resté au format comics US, nous aurions déjà dépassé le n° 100 depuis un bon moment. C’est un bon record, supérieur à celui de mon ami Roy Thomas sur “The Avengers”. Après 20 ans, je trouve encore le moyen de m’amuser en écrivant cette série. C’est déjà beaucoup, non ? »
Gilles RATIER, qui remercie énormément Jean-Marc Lofficier pour sa disponibilité…
« Strangers » #6.6 par Manuel Loayza (à paraître le mois prochain).
Un très grand merci Gilles pour cet article qui rend hommage à un univers peu connu et à son créateur aussi talentueux que disponible car aucun des messages que l’on peut envoyer à Jean-Marc ne reste sans réponse.
Strangers et l’univers Hexagon en général, c’est une cure de jouvence permanente. J’ attend avec impatience chaque nouvelle sortie avec laquelle je me régale. Pas de prise de tête, des scénarios compréhensibles qui contiennent toujours une piqûre de rappel pour les jeunes vieux que nous sommes et notre mémoire qui peut avoir des ratés.
Jean-Marc entretient la flamme et j’espère qu’elle brûlera longtemps…
Excellent cet article sur cette série que j’avais découverte dans un numéro de Planéte comics puis dans sa revue le temps de 4 numéros. Jean-Marc est bien récompensé de tout son travail sur cette série.
Très belle présentation de cette série trop méconnue, mais pourtant passionnante. Un pan important du patrimoine de la BD en France qui est toujours vivant et qu’il faut faire connaître à un plus grand nombre.
Merci Gilles pour cette présentation. Je n’avais jamais pris le temps de me mettre à la lecture de l’univers des Strangers et grâce à toi j’ai envie d’en découvrir un peu plus.