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« La Cuisine des ogres » : un conte aussi gourmet que cruel !

11/03/2024
Par Gilles Ratier

Émouvant, drôle et effrayant, ce conte de Fabien Vehlmann — merveilleusement enluminé par Jean-Baptiste Andreae — va vous secouer les tripes : des abats qu’assaisonneront à souhait les ogres gastronomes de La Dent du chat, pour en faire un délicat et savoureux met… La jeune orpheline Blanchette a été capturée par le croque-mitaine avec d’autres enfants, afin d’être revendue sur un marché. Elle est ensuite emmenée au cœur du mystérieux massif pour servir de repas aux géants se nourrissant de chair humaine qui y habitent. Même si celle qu’on surnommera Trois-Fois-Morte échappera à tous les dangers qui s’imposeront à elle, survivant aussi au terrible hachoir écorcheur-désosseur-batteur de ces bouchers, le cauchemar ne fait que commencer…

Ayant trouvé refuge parmi les korrigans ayant élu domicile près du Lac à vaisselle, Blanchette va devoir redoubler d’inventivité pour survivre à cet enfer. D’autant plus, qu’avec l’aide du jeune Brèche-Dent, elle veut sauver ses quelques amis rescapés : prisonniers dans les cambuses, ces derniers sont engraissés et attendent de savoir dans quel plat du fameux cuisinier Beauregret ils vont finir… Pourtant, cette fillette chétive et énigmatique, dont les cheveux auraient soudainement blanchi à la suite du décès de sa mère, n’a pas vraiment été acceptée par cette bande de gamins des rues qui l’a d’emblée trouvé étrange et trop réservée : nul doute qu’elle porte en elle un terrible secret qu’elle n’ose pas dévoiler…

Fabien Vehlmann (1) excelle dans ce genre de contes réfléchis et intelligents pour ado-adultes et qui ne ménage pas les enfants. Souvenez-vous, par exemple, de « Jolies Ténèbres » (sans parler de sa célèbre série « Seuls ») : le talentueux scénariste fait ainsi preuve d’une sorte de pédagogie pour préparer nos chères têtes blondes, souvent trop surprotégées, à affronter la vie réelle.

Quant à la performance graphique de Jean-Baptiste Andreae (2), elle est éblouissante : son style convenant parfaitement à ce riche univers de fantasy décalé. Sa prestation est dans la lignée du remarquable Gustave Doré (notamment quand il illustra les contes de Perrault, lesquels n’étaient également pas réservés aux enfants) ou encore d’Arthur Rackham ou d’Edmond Dulac, pour rester dans le même registre…

Enfin, même si ce captivant et inventif album de 80 pages est autoconclusif, sachez que les auteurs ont, dès le départ, prévu une trilogie : et chaque histoire sera centrée sur un personnage qui n’a été, jusque-là, que secondaire… Ce qui ne nous empêchera pas de retrouver Trois-Fois-Morte, à certains moments clés des deux autres récits à venir…

Gilles RATIER